Ⅰ. Adrian

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Ça lui déchirait vraiment le cœur de devoir encore le voir partir. Tous deux étaient sur les quais, enlacés depuis quelques minutes.

« Je dois y aller, mon train arrive.

- D'accord... Prends soin de toi, mon chéri, sanglota la femme en finissant par le lâcher.

Il esquissa un léger sourire compatissant et déposa un baiser sur sa joue.

- Oui, toi aussi. À dans deux ans, je t'aime. »

Le jeune homme attrapa ses valises et grimpa rapidement dans le train, regardant derrière lui.

« Au revoir maman ! »

Il était temps pour Adrian de retourner au Japon, après avoir passé son été auprès de sa mère. Cela faisait maintenant neuf ans qu'il lui rendait visite une année sur deux, comblant ainsi sa solitude causée par la mort de son père. Un deuil n'est pas souvent facile à faire, et les suicides sont des cas particuliers à gérer.


Le jeune homme arriva à l'aéroport après un long trajet depuis sa ville natale. Il avait toujours détesté les aéroports, toujours trop peuplés, trop stressants et angoissants pour un garçon comme lui. Je ne suis pas timide, je suis juste introverti, répondait-il quand on lui demandait pourquoi il parlait si peu. C'était logique dans sa tête, il avait regardé sur internet. Il savait s'exprimer en public, il était totalement capable de parler à des inconnus, mais n'en avait juste pas l'envie. Rajouter à cela des manies étranges, une santé plus que fragile et une situation familiale catastrophique, ne donne pas un bon résultat. Une petite dizaine d'années avant, à ses dix-huit ans, il s'était envolé pour le Japon, un chèque dans la poche et un sac à la main, sans prévenir personne. Ce qui l'avait blessé, ce n'était pas que personne n'avait essayé de le contacter pendant le premier mois, mais c'est que son père lui ait demandé pourquoi il était parti. Allez quoi, c'était pourtant évident non ? Quand on est sur le point de se jeter du toit d'un immeuble, c'est souvent qu'il y a un problème. Personne ne lui a demandé de rentrer en France, on prenait de temps en temps de ses nouvelles, histoire de voir s'il était encore vivant. Puis un jour, son père s'est pendu dans le garage, mais personne n'a jamais vraiment su pourquoi, c'est ce qu'on disait dans la famille. C'était juste pour garder un semblant de réputation, alors que la veuve et les enfants du défunt connaissaient bien la cause de cette disparition soudaine.


Le jeune homme monta dans l'avion et alla s'assoir sur son siège. À sa droite, il y avait le hublot. Il avait toujours préféré être du côté fenêtre. À sa gauche, il y avait une femme d'âge moyen, elle avait l'air déprimée. Deux rangs derrière lui, il avait tout de suite remarqué la famille de cinq personnes qui était en train de s'installer. Il y avait trois gamins d'environ six ans, et les gamins, il avait toujours détesté ça. Ce voyage allait visiblement être incroyablement long et pénible.

Un jour et demi plus tard, Adrian était déjà en train de se préparer pour assister à la grosse réunion du début du mois. Elle avait lieu à chaque fois le premier lundi à quatorze heures trente, dans la salle 56, et il s'asseyait toujours au même endroit : le troisième siège, à gauche, en partant du tableau. Le troisième siège lui permettait d'entendre les remarques de tous ses collègues. Cela le faisait aussi passer pour le jeune homme investi, ni trop en retrait, ni trop en avant. Au début, il se mettait au cinquième siège, le temps d'évaluer la situation , de trouver une place stratégique. Au bout de sa sixième réunion, il décida donc de s'approprier la troisième place. Toutes ces petites stratégies, pour passer pour un jeune homme normal, comme les autres, Adrian les avait perfectionnées au fil du temps. Il ne voulait que personne ne découvre sa tentative de suicide, ses idées farfelues ou son appartement étrangement bien rangé.En neuf ans, seulement une dizaine de personnes étaient entrées chez lui. Son frère et sa sœur, sa mère, deux collègues de travail et quelques personnes dont il ne se souvient plus, des histoires d'un soir. Adrian avait la mauvaise habitude de devenir étonnamment bavard, quand il buvait un peu d'alcool, et il finissait souvent par se réveiller dans un lit inconnu ou avec une odeur étrangère sur les vêtements.

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⏰ Last updated: Jun 09, 2017 ⏰

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Cette Nuit-là, Tokyo était calmeWhere stories live. Discover now