Minuit. Toujours minuit.
La lumière bleutée se reflète sur mon visage alors que je tapote mon message.
La fraîcheur de la nuit m'enveloppe et du coin de l'oeil, je surveille Rayane qui s'est endormie dans mon lit, alors que je lui lisais une histoire. Elle a la bouche à moitié ouverte, les mains serrés sur son doudou et sa frange qui lui tombe dans les yeux. Je souris lentement
« Yo Fly »
Je regarde le petit vu devenir bleu. Il tape un petit moment. Il doit hésiter sur la réponse.
« Yo Héloïse. What's up ? »
« Faudrait qu'on parle... »
« Haha, ce genre de phrase qui fait cauchemarder tout le monde. Il y a quoi ? »
« ... Tu fais qch là ? »
« Je suis dans mon lit... »
« ça te dit qu'on se retrouve vers le fleuve ? »
« Pas trop. »
Je cesse de taper mon message et je fronce les sourcils, déstabilisée par sa réponse.
Il rajoute.
« Enfin c'est méga glauque là-bas. C'est que j'ai peur mais... Mais d'acc. Dans une demie heure ?»
Quelle mauviette.
« T'inquiète, si qn t'embête, je vais le péta » je plaisante.
« ça marche haha » répond-t-il.
Je me lève sur la pointe des pieds et traverse mon appartement à pas de loup. Riad s'est endormi sur le canapé, en regardant un animé sur son ordi. Je met sur pause la série, attrape une couverture que je pose sur lui.
Puis, hésitante, je lui fais un bisous sur le front. Il frémit à peine. Il a l'air calme, pour une fois. Tout son visage est détendu, sa cicatrice, semblable à un trait dessiné au crayon blanc ne ressemble plus à une méchante balafre de pirate.
Je reste pensive à le regarder et j'éteins la lumière. Chacha n'est pas rentrée. Je dépose une assiette de riz pour elle et un petit mot et je m'esquive.
L'air froid de la nuit me fouette le visage, en bas de mon immeuble. Je croise certains gars de mon lycée qui fument leur clope. Ils me saluent d'un petit signe de tête que je leur rend.
Je marche une dizaine de minutes, jusqu'au point de rendez-vous.Au loin, des éclairs déchirent le ciel. Il ne pleut pas, pourtant.
– C'est plutôt beau, nan ? C'est la pression de l'atmosphère...
Je sursaute et me retourne.
– Fly, tu m'as fait peur... je marmonne.
– Désolé.
Il s'avance un peu vers la fleuve, jusqu'à atteindre une zone d'herbe et s'assied, avec un petit signe en ma direction qui m'enjoint à le rejoindre.
– Bon. Qu'avais-tu de si urgent à me dire ?
J'ouvre la bouche et la referme. Un silence envahit le lieux. Il allume une clope et m'en propose une, que je décline d'un regard.
– Pourquoi t'es venu ? demande-je au bout d'un moment.
Il inhale la fumée.
– Tu pensais que j'allais pas venir ?
– Je sais pas. On se connaît pas tant que ça, au final.
Il hausse les épaules.
– Ouais, c'est vrai. Mais...Je suis venu parce que de toute façon, je dormais pas. Et j'étais curieux.
L'explication est simple et logique.
– C'est quoi ton vrai prénom ?
– Fly.
– Non, mais le vrai ! Insiste-je.
Il hausse un sourcil, mystérieux, un petit sourire insolent accroché aux lèvres.
Je soupire bruyamment.
– Je t'ai pas vu beaucoup à l'école, récemment, dit il en guise de réponse.
– On se voit jamais à l'école de toute façon.
Il me jette un regard appuyé.
– Hé, ça veut pas dire que tu remarques pas ma présence que je ne remarque pas ton absence.
Je soupire.
– C'est beau, ce que tu dis, Fly, déclare-je, ironique.
– Je sais...murmure-t-il, le regard perdu au loin.
– Si on était dans une comédie romantique, ça ferait palpiter mon petit coeur.
– Et ? Ça fait palpiter ton petit coeur ?
Je lui donne un coup de coude et il rit.
– J'ai pas de coeur, t'as oublié ? réplique-je, bougonne.
– Nan, j'ai pas oublié, Héloïse sans coeur.
– Mmh, j'ai pas de coeur mais j'ai un bébé, déclare-je de but en blanc.
Son visage se tord dans une grimace surprise.
– Tu es le seul garçon avec j'ai couché récemment, rajoute-je.
– Ah, balbutie-t-il. Et tu as toujours un sens pour dire les choses au bon moment.
– J'savais pas trop comment le dire...
– C'était plutôt bien placé.
Je hoche la tête. Il fume quelques minutes en silence et demande :
– Et du coup... ?
– J'crois pas que je vais le garder. Je sais pas.
C'est un peu compliqué, en ce moment. J'en veux pas.Il hoche la tête, à son tour.
– Okay...Je...Je sais pas trop quoi dire. Merde.
– Dis rien, alors.
– J'ai l'impression que tu m'as déjà donné ce conseil, rit-il doucement.
– Je te l'ai déjà donné, oui...
Il y a un silence.
– Cette histoire...ça a fait resurgir des trucs pas cools, dis-je au bout d'un moment.
Puis, plus pour moi même que pour lui, je rajoute, pensive :
– J'avais pas pensé à ma mère depuis...Très longtemps. Enfin pas vraiment pensé à elle. En plus, je me suis sentie obligée de tout avouer à Dana. J'avais l'impression que c'est comme un signe du destin, tu vois. Je pourrais pas fuir. Ni mes sombres pensées, ni mes actes. J'ai cette...Chose dans le ventre qui me le rappelle. Ce que j'ai fait. D'où je viens.
– Je comprends.
– Nan, le coupe-je. Tu comprends pas.
– Si. Je comprends. J'ai une vague tendance à tout fuir, aussi.