Conseil 1 - Trop de mots tuent le propos

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La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer.

– Antoine de Saint-Exupéry


Quand on se lance dans l'écriture de sa première fiction, c'est que généralement, on y a déjà beaucoup réfléchi. Peut-être même un peu trop. Dans notre cerveau prend vie un monde très développé dans lequel évoluent des personnages complexes dotés chacun d'une back story sophistiquée, souvent tragique. Notre héros ou héroïne possède un look bien précis, car on s'amuse à jouer les coiffeurs, les stylistes, les maquilleurs... Bref, on se fait notre cinéma. Et en tant qu'auteur, c'est bien notre droit. On est libre d'imaginer un certain Arny Bods, tueur à gages à la solde de l'Impératrice Ouzbaba, comme on l'entend, avec ou sans cicatrice, taches de rousseur, chapeau à plumes, prothèse pénienne ou autre. Résultat : on en vient à croire que le récit encyclopédique du film qui se déroule dans notre tête est la seule façon de donner vie à notre protagoniste.

D'entrée de jeu, on plante un décor élaboré et on présente les personnages les uns après les autres, sans omettre de décrire leur apparence dans les moindres détails, car il ne faudrait pas que le lecteur se méprenne sur le nombre d'heures qu'on a passé à se demander si Arny Bods devait avoir un piercing au nombril ou à l'arcade sourcilière. Seulement voilà : est-ce qu'on s'est posé la question de savoir pourquoi ce fichu piercing est si important ? Serait-ce un signe d'appartenance à un clan, une mafia, une tribu quelconque ? Ou bien un indice qui permettra une identification ultérieure ? Ou encore, s'agit-il uniquement d'un accessoire dont l'intérêt se borne à une forme d'esthétisme ? Au lieu de tout dire, il est souvent plus judicieux de choisir un détail (un tic, un handicap, une tâche de naissance...) et de mettre l'accent dessus sans nécessairement dévoiler illico pourquoi c'est important. Si c'est un roman que vous écrivez, vous aurez l'occasion d'y revenir.

En 2015, l'annonce du casting de la pièce de théâtre Harry Potter and the Cursed Child a révélé que le rôle de Hermione serait tenu par Noma Dumezweni, originaire du Swaziland. Cette nouvelle a provoqué de nombreuses réactions, car beaucoup s'étaient habitués à l'idée d'une Hermione blanche comme la peau d'Emma Watson qui l'incarne au grand écran. Or il s'avère qu'à aucun moment dans les 7 tomes de la série, Rowling ne précise l'origine ethnique de l'héroïne. La meilleure élève de Poudlard a les cheveux frisés et les yeux marron. Point. La couleur de peau n'est tout simplement pas importante.

Or à la lecture de nombreuses histoires sur Wattpad, je remarque l'accent placé sur les apparences. On décrit les cheveux, les yeux, le visage (souvent beau), la silhouette, le style, le tatouage, la marque des baskets et que sais-je encore. Bien souvent, je suis tentée d'arrêter la lecture. Que dis-je ? J'arrête la lecture lorsqu'il devient évident que ces descriptions sont purement gratuites. Eh oui. La lectrice que je suis se sent un peu dépréciée à l'idée qu'on m'estime incapable de faire preuve d'imagination. En effet, trop de descriptions, c'est admettre quelque part que le lecteur n'a pas les facultés intellectuelles nécessaires à l'appropriation de l'imaginaire de l'auteur.

Ou bien, c'est faire l'erreur de croire que Arny Bods, cet être fictif que j'ai construit avec mes mots, m'appartient à moi seule et si l'idée qu'il puisse prendre les traits et l'aspect d'autant de lecteurs m'insupporte, alors je dois me contenter d'écrire sans jamais être lue. En effet, un texte publié n'appartient plus à son auteur. Ce n'est pas moi qui le dis, mais Roland Barthes qui a proclamé que la mort de l'auteur était le prix à payer pour la naissance du lecteur.

Conclusion : ami(e)s auteur(e)s, charcutez vos exposés et préparez-vous à mourir !

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