CHAPITRE 58 (premier chapitre du tome 4)
---valoïde---
─ C'est surprenant que DimJoania soit si haut perché... Parce que joania, ça veut dire puits...
Ulysse venait de faire cette réflexion à haute voix. Auriane le fixa.
─ C'est tout ce qui te vient à l'esprit ? Tu n'es pas du genre inquiet, toi !
Ulysse ne répondit pas. Inquiet ? Non. Personne n'avait désinitialisé son telib, et ça, c'était bon signe. Il n'était que modérément inquiet. Il ne pensait pas risquer sa vie, ici. Le fait qu'il n'ait plus à mourir forcément dès le lendemain, lui permettait de se projeter d'une manière nettement plus sereine dans la représentation qu'il se faisait de son avenir. Cette réflexion l'amena vers Solim. Ce dernier, détenu à DimHénoé par d'autres exogènes, se trouvait dans une situation plus incertaine que la sienne. Ulysse espérait que ce soit dans des conditions supportables.
Auriane demanda à Ulysse comment il voyait la suite du programme.
─ On attend...
L'assemblée de DimJoania avait fait diverses propositions en ce qui les concernait, et Ulysse n'avait pas compris grand-chose. Les possibilités allaient de l'invitation franche et authentique, jusqu'à l'enfermement dans les cages. Entre les deux, les exogènes avaient évoqué des situations variées, qui étaient restées, pour Ulysse, assez absconses... Ils avaient délibéré et voté. À l'énoncé du résultat de ce vote, beaucoup de termes avaient gardé un sens mystérieux. Les exogènes étaient tombés d'accord sur un choix qui ne semblait pas être le même pour eux deux, et Ulysse aurait été bien en peine d'expliquer à Auriane en quoi il consistait. On leur avait demandé de retourner sur le quai d'embarquement de l'ascenseur par lequel ils étaient arrivés presqu'au niveau de la canopée, et depuis, ils attendaient.
Un homme marchait à leur rencontre. Il s'adressa à Ulysse et lui enjoignit de le suivre. Ulysse désigna Auriane. L'homme glapit :
─ Non. Elle, elle reste ici.
Ulysse allait refuser de se lever, mais Auriane lui demanda d'obéir. Pour l'instant, personne n'avait l'air énervé à leur encontre, et elle espérait que cette relation sans réelle tension perdure.
Ulysse suivit l'homme qui le mena à un pont suspendu. Ils s'éloignèrent de plus en plus et changèrent plusieurs fois de niveau. Ils passaient d'un espace à l'autre, longeant des habitations fermées par des tentures. Autour, sur de larges planchers, s'égrainaient toutes sortes d'aménagements et d'éléments de décoration : des bancs, des tonnelles, des mâts garnis de rubans, des totems colorés... Curieusement, il y avait aussi des fontaines, et de l'eau courait partout dans des rigoles. Comment faisaient-ils pour avoir de l'eau au sommet des arbres ?
Ils traversèrent un lieu de rassemblement couvert. De larges bandes de tissus épais étaient suspendues d'un mur à l'autre par deux côtés. Auriane aurait deviné qu'il s'agissait de hamacs. Ulysse n'eut pas la moindre idée de ce à quoi ils pouvaient servir. Comme à DimHénoé, il y avait tout un mobilier bas fait de bois et de tissus chamarrés. Ils croisèrent très peu de monde, et tous ceux qu'ils croisèrent, s'affairaient à différentes tâches manuelles. Des regards les suivaient sans manifester d'animosité particulière. Tout avait l'air calme, serein...
Ils arrivèrent sur une plateforme assez petite où se dressait une sorte de portique. On aurait dit une porte de transfert. L'homme fit entrer Ulysse dans un espace couvert. Il y avait là qui abritait des postes de commandes. Ulysse ne parvint pas à définir précisément leur fonction. Des consoles de surveillance, certainement. À l'intérieur, il y avait un autre portique et l'homme demanda à Ulysse de se placer dessous. Ulysse se montra docile. Un écran grésillant l'enveloppa un moment puis sembla s'enfoncer dans le sol. Il n'avait rien senti, et rien ne se passa. L'homme s'approcha et lui plaça autour du cou un collier ajusté, une sorte de tube jaune, fin et souple, qu'il clipsa. Ulysse se laissa faire et ne bougea pas. Il se demandait quel était ce nouveau dispositif. L'homme ne lui donna aucune explication. Toujours silencieux, il l'emmena vers une autre destination, sans préciser laquelle.
Ulysse se retrouva devant l'Assemblée des Avertis de DimJoania. Comme à DimHénoé, ces personnes aux cheveux courts et vêtus de tuniques longues, étaient certainement les « sages ». Ils arbitraient et arrêtaient probablement toutes les décisions concernant l'ensemble de la communauté. Auriane était debout face à eux et Ulysse fut conduit à côté d'elle. Il y avait aussi un groupe chamarré d'une dizaine d'autres personnes aux vêtements disparates, majoritairement coiffés de dreadlocks. Ce groupe se tenait en retrait, debout et impassible. Le long des murs étaient alignés des gardiens aux cheveux tressés ou attachés. Ils portaient des couteaux ou de longues machettes à la ceinture.
Dans le silence qui emplissait la salle, un des Avertis se fit apporter un sac. Il piocha dedans et en sortit une boule. Il la leva au-dessus de sa tête pour que tous puissent la voir. C'était une boule de la taille d'une balle de ping pong et de couleur verte, qui émettait un sifflement rythmé. L'homme se tourna vers le groupe qui se tenait en retrait et une femme s'avança d'un pas, toute souriante.
─ C'est moi ! Sojiel.
L'homme s'adressa alors à Ulysse :
─ Tu es à la disposition de Sojiel. Au coucher du soleil tu dois te trouver au pontant. Le reste du temps, c'est elle qui détermine les temps et les espaces dans lesquels tu te déplaces, et tu fais ce qu'elle te dit de faire.
Ulysse n'avait pas compris grand-chose à la portée de ce qui venait de lui être signifié. Il demanda quand même :
─ Et sinon ?
─ Sinon, tu ne manges pas.
C'était simple... Ulysse se demanda dans quelle mesure cela serait suffisant pour le contraindre, mais il se douta qu'il devait s'agir là d'un résumé succinct. Les yeux de l'homme se portèrent sur Auriane et il continua :
─ L'innée est la bienvenue parmi nous. Elle peut partager le sel et l'abri de tous les exogènes. Elle peut aller où bon lui semble.
Ulysse allait poser une autre question. L'homme le regarda en fronçant les sourcils et sa voix se fit glaciale :
─ Toi, tu deviens un valoïde. Et tu te tais. Un valoïde ne parle que quand on lui demande de parler. Une lignée valoïde ! C'est exceptionnel. Tu es la lignée d'AvanaëlAslanatholias, mais ce n'est pas suffisant pour qu'on te fasse confiance. Et le fait que tu aies faussé compagnie à ceux de DimHénoé ne plaide pas en ta faveur ! N'exige pas davantage de notre hospitalité. C'est un privilège que nous t'accordons, parce que Justice nous demande de... de te traiter avec le maximum de respect... Et faire de toi un valoïde, c'est le maximum qu'on puisse faire. Et c'est déjà beaucoup...
Joka se leva. L'homme lui transmit la parole d'un geste du bras et s'assit.
─ Merci, Pohis.
Joka commença par s'adresser aux personnes présentes et dit qu'il les remerciait encore une fois pour leur confiance. Il se chargeait d'énoncer les règles, puisque c'était lui qui avait mené Ulysse jusqu'ici. Il ajouta, pour les non-Avertis présents, qu'il était question de confier à Ulysse une mission dans un avenir proche, et qu'en attendant, lui, Justice, se portait garant du respect de ces règles. Il se tourna ensuite vers Ulysse.
─ Je me suis porté garant pour toi et tu sais quels sont les enjeux à l'extérieur de DimJoania. Nous ne vivons pas comme à DimHénoé. Ici, chacun produit et troque. Les réserves ne sont pas communes et leur partage obéit à des règles précises. Un valoïde appartient à l'ensemble des exogènes. Il doit fournir le travail que lui réclame son embaucheur s'il veut manger, car personne d'autre ne le nourrira, et il ne peut aller nulle part ailleurs que dans l'espace que son embaucheur lui a désigné. Tu ne peux plus t'adresser à aucun d'entre nous, maintenant. Tu ne peux parler qu'en présence de Sojiel, et à condition qu'elle t'y autorise. Tu travailleras sur ses parcelles. Pour ce qui concerne ton passage parmi nous, tu dois te conformer aux règles que j'énonce. Sojiel est ton embaucheur, pour l'instant. Quand elle entrera dans son rôle, c'est-à-dire après les informations que je te donne en ce moment, elle activera le collier, et tu seras à ses ordres.