Le spleen des requiems

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Ce matin, je suis restée assise à la table de ma cuisine au lieu de m'affairer avant de partir au boulot. On peut dire que je suis prise d'un gros coup de mou... Tout le monde a déjà quitté le petit déjeuner, me laissant le soin de tout ranger, comme d'habitude... Je fixe la toile cirée constellée de miettes de pain. De la confiture fait son apparition de-ci de-là. D'ordinaire les poules dessinées sur la nappe me font plutôt marrer. Mais pas aujourd'hui.

 A la radio, l'émission propose un florilège de requiems. Parfait pour ce que j'ai ! Avec le moral que je me traîne, il ne manquait plus qu'une musique sinistre pour que le tableau soit complet ! Bon, ça peut être sympa la musique classique. Mais il faut quand-même être de bonne humeur à la base, parce que sinon ça peut vite plomber l'ambiance tout ça ! Surtout un requiem, qui est, ai-je besoin de le préciser, une musique pour les morts que l'on joue lors des enterrements...

Sans en arriver à une telle extrémité, l'histoire que j'ai à raconter n'est pas toute gaie. Elle est terminée. Depuis peu. Elle m'a fait me sentir belle et jeune l'espace de quelques jours, quelques semaines. Elle m'a aussi remise à ma place de quadra, alors que jamais je n'avais pris conscience de mon âge avant ça. J'ai vibré pour un jeunot, moi la mère de famille...

Le Requiem de Mozart se termine dans le poste de radio, et il est temps de commencer mon récit.

J'ai 41 ans. Je croyais être à l'abri de la fameuse crise de la quarantaine. Dans ma tête, il y a encore quelques mois, j'avais 16 ans, 20 grand max. Je n'avais pas peur de vieillir, quand ça viendrait. Je me disais qu'un corps qui vieillit c'est beau, qu'il ne faut pas cacher ses rides ni ses cheveux blancs.  Tu parles ! Des belles paroles quand on a 30 ans. Et puis on ne voit pas le temps qui passe ; il faut une histoire comme celle que je viens de vivre pour se prendre la vieillesse en pleine poire. Je m'explique...

Comme le chantait si bien Serge, il était beau mon légionnaire ! Du haut de ses 22 ans, Paul-Hadrien était un grand, très grand garçon. Plus d'un mètre quatre-vingt-dix. Élancé. Un nageur, plusieurs fois champion dans sa catégorie. Pourtant, il ne ressemblait pas à ces sportifs de la nage aux épaules démesurées. Tout chez lui était proportionné. On pouvait deviner les muscles souples et vifs sous ses vêtements. Ceux qui donnent envie à toute femme normalement constituée de se lover dans ces grands bras, la tête enfouie au creux de ces épaules bienveillantes... Des cheveux orange dorés, des tâches de rousseurs constellant la peau de son visage, de ses mains, de ses bras, de ses jambes... Une kyrielle d'étoiles rousses sur ce corps diaphane... Ses magnifiques yeux étaient du même bleu dont sont faits les lagons autour des plus belles îles du Pacifique. Bon d'accord, si je vous dis qu'on aurait pu y plonger dedans, (que j'y ai plongé entièrement) vous allez me dire que vous avez déjà lu ça quelque part. Rien d'original à tout ça.  Je sais,  mais moi c'est mon histoire, et personnellement c'était la première fois que je plongeais dans des yeux aussi beaux !


La crise de la quarantaine ? Connais pas ! (enfin presque...)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant