DAPHNÉ

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Je me suis rappelé il y a peu de mes cours de latin de lorsque j'étais encore qu'un jeune homme portant des pantalons courts. Nous avons un jour étudié le mythe de la nymphe Daphné. Dans cette légende, nous apprenons que Eros, dieu de l'amour, vexé par les moqueries de Apollon à son encontre décide de décocher une de ses flèche en or sur le dieu de la poésie, qui comme sous un filtre d'amour tombe follement amoureux de la jolie nymphe Daphné. Mais simultanément, il décoche une seconde flèche sur la nymphe. Cette flèche, différente de celle utilisée sur Apollon, faite de plomb, dégoûte la Beauté de l'amour. Le jeune dieu va alors poursuivre sa dulcinée, qui va le fuir et, fatiguée, demander à son père, le Dieu fleuve Pénée de l'aider. Celui-ci va alors transformer sa fille en laurier, d'où l'un des attributs d'Apollon.

Je me suis rendu compte que ce mythe était comme un déjà-vu, et bien sûr, que suis-je bête. J'ai moi même observé ce mythe, pendant deux mois. Les deux mois d'un été chaud aux Hamptons. Je me demande de quelle manière je ne me suis pas rendu compte plus tôt que ce mythe était comme une prédiction de l'histoire de Daphné. De plus, elle porte le même nom que la fameuse muse. Un sourire dessiné sur mon visage fatigué se réduit, petit à petit pour donner un air triste à ma face. Daphné. Après autant d'années, là voilà toujours logée dans mon esprit. Alors que je fais le bilan de ma vie, je ne me souviens d'aucune femme que j'ai aimé et pourtant, je sais que j'ai eu un cœur vagabond, léger qui se laissait très vite emporté. Une seule femme est toujours restée dans ma tête, chaque jours, chaque heures, chaque secondes, ne me laissant aucun répit. C'est Daphné. Et quelle belle ironie, elle est la seule que j'aurais aimé oublier. J'aurais aimé jeter son souvenir au cimetière de l'oubli. La jeter avec ma naïveté et ma jeunesse dans les vagues sans pitié des Hamptons.
Mais, écrire est sûrement une thérapie. Je ne sais pas comment je vais appeler ça, peut-être que je ne vais pas l'appeler. Disons que c'est une réécriture moderne du mythe d'Apollon et de Daphné. Sauf que cette fois-ci, ce n'est pas un mythe. C'est bien réel.

À mon plus grand malheur.

J'ai grandi dans la banlieue de Londres. Petit garçon, j'ai connu les bombardements, la vie me semblait comme une longue journée sous la pluie battante, trempé jusqu'aux os, bercé par les grondements du ciel. Puis vers mes 15 ans, j'ai réellement commencé à vivre sans peurs. J'ai aussi aimé, jeune homme j'en ai appris plus sur moi même et sur les femmes, je suis tombé amoureux à plusieurs reprises et j'ai découvert les plaisirs défendus de la vie. Ma philosophie était de vivre comme si le lendemain était incertain et j'ai énormément profité de ma jeunesse entre les filles, mes amis et ma famille. J'avais la tête pleine de rêves qui me semblaient irréalisables : devenir peintre, fonder une famille, devenir riche, conduire les plus belles voitures du monde... J'étais très ambitieux et je croyais en tout ça. Mais, depuis tout petit, j'ai toujours voulu aller vivre aux Hamptons, aux États-Unis.

Ma grande tante Charlotte y vivait. Je ne l'ai vu qu'une seule fois, j'avais 15 ans. Mes parents m'avaient énormément parlés d'elle, me disant qu'elle vivait dans un endroit paradisiaque en Amérique. Ils m'ont fait rêver des Hamptons et quand ma grande tante est arrivée pour deux mois en Angleterre, j'ai passé mes journées à l'écouter me souffler les plus belles choses sur cet endroit. Elle m'a raconté à quel point les plages y étaient belles, les filles séduisantes, l'air pur et parfumé d'été ainsi que le ciel bleu, toujours rayonnant d'un soleil qui brûlait la peau. Je suis littéralement tombé amoureux des Hamptons sans jamais y avoir mis un pied.

C'est en mars 1960 que nous apprenons le décès de ma grande tante Charlotte. Personne ne semblait vraiment triste suite à la nouvelle, nous l'avons que très peu connus et il faut dire qu'elle entretenait des liens assez tendus avec ses trois frères dont mon père. Elle ne tenait pas sa langue dans sa poche, c'est un fait. Mais, je l'aimais bien. J'ai été attristé quand même le temps d'une après midi et je me suis dit que ce sont les choses de la vie. Cette après-midi là, je me suis enfermé dans ma chambre et j'y ai peint une plage des Hamptons que je m'imaginais grâce aux descriptions de Charlotte que j'avais noté dans un petit carnet de cuir abîmé. C'était en quelques sortes mon hommage à cette vieille dame que j'aurais aimé connaître davantage.

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⏰ Last updated: Nov 14, 2022 ⏰

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