Partie 1

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Quand je suis arrivée en classe le jour de la rentrée, j'ai voulu faire demi-tour immédiatement. Mon portable à la main, mon sac dans l'autre, et en face de moi le championnat du monde de têtes d'enterrement. Et toi, tu n'étais pas là, victime de phobie scolaire, comme tu venais de me l'annoncer par message. En bref, je me sentais très mal.

Je ne connaissais pas la prof, de français apparemment. Mme Chalant, malentendante, qui nous a tout de suite avertis :

-Je ne garantis pas que je vous entendrais chaque fois, alors levez bien la main. Bien entendu, pas de bavardage, qui rendent ma tâche encore plus difficile. Je compte sur vous, vous êtes en Première je vous rappelle !

Son commentaire a suscité une vague de discussions parasites, qui ont achevé de m'énerver. Il y avait des jours comme ça, où j'avais juste envie de claquer la porte, de rentrer chez moi et de faire oublier à tous que j'existais. Avant tu étais avec moi, tu me rassurais, tu me donnais une raison de redter. Mais c'est toi qui a craqué en premier. Le monde est cruel, non ?

Madame Chalant continuait son hiatus de début d'année, qu'on connaissait tous par coeur mais qui devait durer le plus longtemps possible, pour éviter le terrible :

-Pas de question ? Alors on commence le cours.

Elle n'a pas tardé à le dire, la prof. On a tous soupiré, sorti une feuille, un stylo, et elle a commencé à nous expliquer comment l'année allait se dérouler. De temps à autre, elle réprimandait un élève qui était plus intéressé par son emploi du temps ou son voisin que par l'oral du bac de français. Ah, cet oral. Il ne me faisait pas peur, mais la montagne de travail qui m'attendait, elle, m'effrayait. Je crois que tes oreilles ont dû siffler, ce jour là. Parce que je n'ai fait que penser à toi, et maudire ta phobie sur trois générations.

Laisse - moi te dire une chose : tu aurais adoré la Première L. Jamais mon emploi du temps n'a été aussi léger. Les profs ne sont pas les meilleurs, mais ça aurait pu être bien pire. Les Scientifiques ont hérité d'un prof de lettres qui est persuadé de faire cours à des étudiants de la Sorbonne. Il est bien loin du compte, ses élèves vont souffrir... tout le contraire de Mme Chalant, très sympa en fait, et compréhensive. Bon, le fait que le français est ma matière préférée n'est pas pour rien dans cette affaire mais tout de même. Elle était cool. Bien plus que les 23 élèves avec qui j'allais devoir cohabiter 7 heures par jour 5 jours sur 7.

OK, j'exagère. Pas 7 heures par jour. Mais c'était déjà trop à mon goût. J'ai donc appliqué la technique de l'autruche toute la journée, jusqu'à 16 heures, la fin des cours. C'est à dire que je n'ai causé à personne, et personne ne m'a causé. J'étais royale. J'avais amené mon repas, pour éviter la cohue du self. Si j'y remettais ne serait-ce qu'un orteil j'aurais commis un meurtre. Tu te rappelle sans doute pourquoi...

J'ai donc évité le self. Et j'ai achevé ma journée victorieuse, vivante et sans avoir frappé personne.

De retour chez moi, après 15 minutes de bus, je t'ai envoyé un message. Tu m'as répondu immédiatement, et je t'en suis encore reconnaissante.

Ça va, merci😘. J'étais clairement pas bien ce matin mais là c'est bon. J'ai dormi. Et toi ?

J'ai survécu😑 Tu comptes revenir un jour ?

Je sais pas, je vais voir quelqu'un dans la semaine. Je serai pas là au moins demain.

Alyce essaye, tu es mon seul espoir dans ce monde cruel !! 😢

Je verrai. Je te laisse, ma mère m'appelle.

C'est ça à +

J'ai laissé mon portable de côté, et j'ai rejoint ma soeur et mes parents qui m'attendaient pour manger. J'ai raconté toute ma journée.

-Tu connais du monde ?

- À part Mathis et Zoé je connais peut-être personne. Ah si, Laslo.

- Laslo ? Jamais entendu parler, a observé ma mère.

J'ai haussé les épaules.

- Normal, c'est un redoublant en L. Il s'est endormi pendant l'épreuve écrite de Français. Je l'ai vu plusieurs fois, l'an dernier mais je ne lui ai jamais parlé.

- Et Alyce, demanda mon père.

Ma mère s'est penchée vers lui avec un regard entendu :

- Enfin, Phil, tu sais bien, je te l'ai dit ce midi.

Mais mon père ne se rappelait pas. Il a penché la tête sur le côté en signe de profonde perplexité. Ma mère a soupiré, prête à expliquer, mais je l'ai devancée :

-Elle a une phobie scolaire, elle n'est pas venue.

Silence de commisération, réflexion de la part de ma soeur, Maé, 10 ans, qui a demandé :

-C'est quoi une phobie scolaire ?

Maman a répondu, doucement, comme si elle prenait des précautions :

-Ça veut dire qu'elle a très peur d'aller à l'école, elle ne peut pas y aller sinon elle ne se sent vraiment pas bien, tu comprends ?

- Oh. C'est grave ?

- Ça se soigne, mais c'est difficile. Alyce t'a dit comment elle allait, me demanda maman.

J'ai haussé les épaules.

- Elle ne m'en n'a pas parlé plus que ça. Elle veut sans doute rester seule.

Mes parents ont échangé à nouveau un regard. Je ne savais pas trop ce que c'était, une phobie scolaire, mais je n'allais pas l'avouer. Tout ce que je savais, c'était que tu n'étais pas dans ton état normal, et que tu ne m'en n'avais pas parlé. Je me doutais que tout n'allait pas bien chez toi, mais j'étais trop timide, trop douteuse pour te demander.

À présent je voudrais m'excuser. Parce que j'aurais dû suivre ma première intuition, qui était de venir te voir. Mais on n'est pas dans un film, et ça n'aurait sans doute rien résolu, au contraire.

On a terminé le repas en silence, enfin pour moi. J'ai simplement précisé à mes parents que Zoé s'était trouvé sa bande, et qu'il était hors de question que je parle à Mathis. Parce qu'il était le meilleur ami d'Alyce, pas le mien, et parce qu'il n'avait pas cherché à me voir, l'an dernier. Et puis, il avait beau être un pote de toujours, on ne parlait pas à un garçon qui a coupe les ponts avec vous comme ça, sauf si on était dingue de lui. Ce qui n'était pas mon cas.

Je n'ai pas dit ça à mes parents. Je n'ai pas précisé non plus que ni Zoé ni Mathis n'étaient dans ma classe. Zoé était en Première Pro, et Mathis redoublait sa Seconde, ce qui était encore une raison valable pour ne pas lui parler. Ah, j'y pensais, tu ne le savais peut-être pas. Maintenant c'est fait. Mathis redoublait. Je ne l'avais appris que le jour de la rentrée, en ne le voyant pas sur les listes. Je lui avait envoyé un message, il m'avait répondu deux heures après.

En bref, journée banale de rentrée, sans toi. Une année solitaire s'annonçait. J'en aurait pleuré. Mon regard s'est posé sur mon piano. Je ne l'avais pas touché depuis deux mois, et j'ai eu envie de jouer de nouveau.

Je l'ai allumé après avoir soufflé sur les touches, j'ai ouvert mon porte-vue, choisi la partition. Skinny Love. Doux, simple, et mélancolique. J'ai joué avec mon casque, fredonnant les paroles dans mon anglais approximatif. Je butais toutes les deux mesures, mais ça faisait du bien. J'ai éteint juste après, et je suis allée me coucher, ayant malgré tout hâte de voir ce que la journée du lendemain me réservait.

TOGETHER [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant