J'emboîte le pas à Khenzo, qui me conduit au fond du hangar. Un homme est allongé, les bras le long du corps, la poitrine criblée de balles. Son visage est couvert par son foulard, masquant ses traits et sa chevelure. Non loin de lui, une jeune femme aux cheveux blonds, parsemés de mèches turquoise, est adossée au mur sur une paillasse, le côté gauche entièrement recouvert de sang. Son t-shirt a été découpé au niveau de l'épaule et un bandage sommaire, réalisé à l'aide de bandes de tissu déchirées, essaie de contenir le liquide rougeâtre qui s'écoule de la plaie. À ce rythme, elle est condamnée si on ne fait rien.
Dans la pénombre, je m'agenouille près d'elle. Ses traits sont livides et ses yeux, rivés sur le cadavre, emplis d'une profonde tristesse. Elle souffre en silence, essayant de se concentrer sur sa respiration pour calmer son angoisse. Une odeur de fer et de sueur m'agresse les narines. Je déglutis et tente de rester impassible.
— Qui es-tu ? me demande-t-elle dans un souffle saccadé.
— Garde tes forces. On fera connaissance plus tard.
J'ouvre mon sac et tends une lampe torche à Khenzo afin qu'il me fasse un peu de lumière. Ce dernier prend place de l'autre côté de Camélia, posant une main rassurante sur son front. De la trousse de premiers soins que je me suis constituée au fil du temps, j'en ressors un flacon et du coton. Avant toute chose, il faut désinfecter la plaie. Je relève les manches de mon manteau puis écarte le bandage pour observer la blessure : le sang ne coule pas à gros bouillons, je suppose donc que l'artère n'a pas été touchée.
Je me désinfecte les mains, et ensuite, nettoie la chair endommagée avec soin, arrachant des grimaces de douleur à la jeune femme. L'écoulement de sang s'est presque tari lorsque Khenzo lève la torche au-dessus de l'orifice. La balle est bien logée au fond, et son extraction ne sera pas facile. Je fouille à nouveau dans ma trousse et sors une pince que je désinfecte à son tour. Camélia s'agite. Son pouls s'accélère et la sueur perle sur ses tempes.
— Tout va bien se passer, lui dis-je d'une voix douce. Compte jusqu'à trente.
— Pardon ?
Malgré la douleur, elle trouve la force de prendre un air surpris.
— Discute pas et compte.
Elle regarde Khenzo, qui hoche la tête.
— Un, deux...
Après une seconde d'hésitation, j'enfonce la pince dans la plaie à la recherche de la balle. Camélia se contracte et laisse échapper un gémissement.
— Ne t'arrête pas de compter ! Allez !
— Trois... qua... quatre... cinq...
Camélia empoigne le bras du jeune homme. Ce dernier me dévisage curieusement. Les mains légèrement tremblantes, je continue de fouiller la plaie, sous le regard inquiet de Khenzo qui m'éclaire du mieux qu'il peut. Le sang se remet à couler, me gênant pour attraper le projectile. La jeune femme serre les dents et accuse la douleur. Je dois me dépêcher. À dix, je manque ma première tentative. Camélia me regarde d'un air désespéré alors que je triture un peu plus sa blessure.
— Dou... douze... treize... qua...quatorze...
À dix-huit, mes mains cessent de trembler et j'arrive enfin à agripper la balle. Je la retire d'un coup sec. Camélia blêmit et perd connaissance. Tant mieux ; dans les vapes, elle ne souffrira pas. Satisfaite, j'esquisse un sourire discret, puis imbibe un linge propre de désinfectant et nettoie la plaie à nouveau. Ensuite, j'attrape une compresse et des bandages pour lui entourer minutieusement l'épaule. Je tends un comprimé à Khenzo qui me jette un regard interrogateur.
— Fais-lui avaler ça quand elle reprendra connaissance. Elle supportera mieux la douleur et ça fera tomber la fièvre.
— Merci...
— Y'a pas de quoi. Seulement il lui faudra de vrais soins pour être totalement tirée d'affaire.
Khenzo hoche la tête. En me relevant, je m'aperçois que tout le groupe a les yeux rivés sur nous. Certains me regardent avec méfiance, d'autres avec curiosité. Tim, lui, empeste la haine à plein nez. La diplomatie n'a pas l'air de faire partie des qualités de cet homme. C'est peut-être ça qui les maintient tous en vie. Il n'y a pas de place pour ceux qu'il ne choisit pas lui-même, assurant d'une certaine façon la cohésion du groupe. Et j'ai certainement dû lui faire une mauvaise impression en les espionnant tout à l'heure. Ceci dit, à ma place, il aurait agi de même. Et à la sienne, j'en aurais fait autant également...
— Est-ce qu'il y a un endroit où je pourrais me décrasser ?
— Oui, bien sûr, répond Khenzo alors qu'il tire une fine couverture sur Camélia. Tu montes l'escalier que tu vois là-bas et au fond du bureau, il y a une ancienne salle de bain. Il y a de l'eau, mais elle n'est pas potable.
Je traverse le hangar sous le regard attentif de Tim, qui fait un signe de tête à deux de ses compagnons. L'un d'eux me barre le chemin, les bras croisés sur la poitrine.
— On t'a à l'œil.
— Je vais juste me débarbouiller.
Je lève mes mains pleines de sang vers le ciel pour montrer ma bonne foi. Le second, un grand blond élancé, soit le strict opposé de son acolyte, s'avance alors vers moi.
— Tes armes.
Mon regard balaye le hangar, faisant l'inventaire de leur armement. Jene suis pas en position de force, ici. Il va falloir que je fasse le dos rond.Ce n'est pas de gaîté de cœur que je leur tends mon HK-720 et mon Wallgon-X.D'un geste de la main, le premier molosse me désigne alors ma botte. Je soupireet sors mon couteau de lancer pour le lui remettre. Satisfaits, les deux hommess'écartent pour me laisser passer. Ils ne semblent pas avoir repéré le couteau de chasse glissé sous maceinture. Je me retiens d'esquisser un sourire, puis je grimpe les marchesquatre à quatre, tandis qu'ils se postent au pied des escaliers.
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Horizons #1 - Sombre balade
Science Fiction-- Résumé -- 2107. Deux ans plus tôt, le monde est dévasté de façon brutale et soudaine. Aujourd'hui, il ne reste plus que des ruines, de la poussière et des cadavres. Les rares rescapés tentent de subsister, tiraillés entre les milices locales et l...