Paula Marius

Chapitre 1

Parfois, la présence de Paula était oubliée, dissimulée derrière celle de Simon ou Colombe. Il faut dire que lorsque vous avez 7 sœurs et 5 frères, il n'est pas évident de réussir à s'imposer. Oh ! Elle ne demandait pas grand chose...Juste un peu d'attention au dîner, une confidence par ci par là, elle n'avait pas besoin qu'on lui donne un micro et qu'on l'éclaire de projecteurs.

Mais voilà... c'était bien elle, sur la photo de famille à l'entrée. Si, si ! Entre Joséphine et Thémis. Là... juste là.

Cette année, Paula entrait en 4ème, au petit collège du quartier. Ce qu'elle avait pensé de la 5ème ? Bof, la continuité de la 6ème. En classe, elle n'avait pas de mauvaises notes mais ce n'était pas des bonnes notes non plus. En fait, c'était juste entre les deux, la position parfaite pour que ses professeurs s'en fichent plutôt pas mal.

Un jour, dans un coup de folie, elle avait demandé à sa mère de l'inscrire à un cours de harpe. "Un jour" c'est un parfait euphémisme puisque qu'en réalité, il avait fallu un an à sa mère pour qu'elle entende sa requête et s'en acquitte. Elle avait choisi la harpe avec soin, un instrument léger, discret et doux, qui lui correspondait bien. Mais au lieu de cela, sa mère, avec un an de retard, l'avait inscrite au saxophone. L'inverse de ce dont elle avait envie. C'était fait, c'était fait. Paula avait cherché à se désinscrire, trop tard. "Trop encombrant, la harpe", s'était justifiée sa mère, et elle était passée à autre chose.

Toujours est-il qu'aujourd'hui, la petite maison de leur immense famille était en effervescence de la cave au grenier, en passant par la salle de bain. Il faut dire que 11 enfants (puisque que Colombe était à Paris) qui préparent la rentrée, le même dimanche soir, avec deux parents à disposition, ça créé de l'agitation :

- Thémis a prit ma gomme ! a crié Louis

- C'est faux, c'est Achille, il vient de passer ! Mais t'es myope ou quoi ? a-t-elle répondu

Thémis, c'était sa jumelle. Comme si elle n'avait pas assez de frères et sœurs, il fallait en plus qu'elle ait le même âge et qu'elle soit exactement identique à Thémis. Elle était même, elle, Paula, pour certaines personnes, qu'une copie de sa sa sœur. Mais pourtant, mis à part les points physiques, elles n'avaient rien à voir. Thémis était bien plus "populaire", au collège. Elle avait l'impression que Thémis avait essayé de l'intégrer dans un groupe d'amis seulement pour ne pas culpabiliser de la voir seule. Pourtant Paula n'était pas faite pour côtoyer le même groupe tous les jours, elle préférait encore être seule. Tant pis. De toute manière elle avait toujours était un peu seule même au milieu de 50 personnes.

Et puis, elle avait fini par comprendre qu'un stylo-plume était bien plus fidèle qu'un ami. Et que jamais, jamais les mots ne partiraient en se disant choqués et fâchés. Parce que ses mots, à Paula, c'était toute sa vie. Plus qu'une obsession, c'était sa raison de vivre. Elle écrivait tout le temps, avec de beaux mots, des mots choquants, puissants, des mots doux, pour rêver. Tous les mots, pour toutes les histoires possibles. Les mots pouvaient tout changer. Vraiment.

Contrairement à sa sœur jumelle, Paula avait l'impression d'être trop loyale pour pouvoir être quelqu'un de "cool". Thémis, qui était considérée comme telle, donnait l'impression de collectionner les amis pour se créer son  "réseau collège", comme elle disait avoir un "réseau cours d'équitation" et un"réseau cours de danse".

Alors Paula écrivait, le plus possible. Elle faisait vivre les personnages de son imaginaire, et, quand elle s'arrêtait, elle avait l'impression d'arrêter de respirer, comme ses personnages. Comme si c'était sa vie à elle qu'on avait mis en stop. Alors elle écrivait, le plus possible. Pour respirer. Pour vivre.