IV

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L'air frais dès six heures du matin est un vrai bonheur. Je crevais de chaud chez moi, j'étais réveillée...et un second sommeil m'aurait été fatal. New York était déjà debout, prêt à m'accueillir. J'ai une chance inouïe de ne pas être si loin de Central Park. Quelques minutes de métro et le tour est joué !
En revanche, je ne suis pas sereine. En France, j'étais mordue de New York Police Judiciaire. On en voit le résultat maintenant... je sursaute au moindre bruit... regarde si quelqu'un me suit... on ne sait jamais ! Ah oui, et mon sac est mon trésor, comme l'appas qui me ferait victime.

Je ne regrette pas le détour tant qu'il ne m'arrive rien. Profiter d'un tel paysage est unique dans une vie. La brume qui règne sur les arbres, couvre le lac d'une teinte blanche offre une fraîcheur plus qu'agréable. Ma seule compagnie sont les canards qui voguent sur le lac embrumé. Le bruissement des arbres sereins m'apaise. C'est un instant presque hors du temps, en profitant du paysage qui nous est offert. La nature couvre mon attention mais ne domine pas tout : les buildings clairs-obscurs semblent garder un œil sur Central Park. La vue ne jure pas. Bien qu'il soit niché au milieu des immeubles et du cœur de l'activité de la ville... Nature et Business cohabitent. Toute productivité s'accompagne d'une pause, après tout...

Des pas se rapprochent. Ce ne sont pas n'importe quels pas... ce sont des pattes qui courent activement vers le lac. Un beau chien brun fait surface, au milieu de la brume. Il n'hésite pas à marquer son territoire et a aboyer sur les pauvres petits canards. Ses yeux sont doux, de grandes iris brunes aimantes, mais elles appartiennent à une vraie boule d'énergie. Le chien bouge dans tous les sens, court et remue sa queue d'excitation. Il bave légèrement sur mon pantalon. Je le pardonne face à sa bouille suppliante. Le pauvre est seul, en manque d'un compagnon de jeu. Une voix forte crie un nom : William. Le gros chien réagit vivement. Il remue sa queue et semble tout enthousiaste.

Un homme suit les pas du chien, quelques minutes auparavant. Il s'approche de nous, et surtout de William, un fin sourire arboré. Cet homme est immense, surtout par rapport à moi, et musclé. On devine les tablettes de chocolat sous son fin débardeur de sport. Il est difficile de voir clairement son visage, tant il est grand, mais je peux dire qu'il n'est pas mal. Ses cheveux bruns, légèrement humidifiés par l'effort, tombent nonchalamment sur ses épaules lui donnant un air décontracté. William s'allonge et inspire bruyamment. Tandis que son maître tire sur sa laisse pour l'amener à repartir, le chien exprime sa fatigue. Il ne bouge pas, se contenant de respirer difficilement.

- Tu as peut-être soif, dis-je.

Évidemment je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais sa langue est d'une couleur trop claire. Il boit l'eau que je verse de ma bouteille d'eau. Ça le soulage nettement. Je ne peux m'empêcher de caresser son poil brun si doux au toucher.

- Tu te fais bien traiter, mon vieux, déclare son maître.
- Il est vieux ?
- Il le devient dès lors que nous devons sortir !
- C'est un bon chien...

Je me redresse pour (tenter) de faire face au maître de William. Je fais plutôt front devant son torse.

- Vous n'êtes pas seule quand même ?

Ses yeux inquiets ne me jugent pas. Ça n'est pas rassurant pour autant.

- Si je suis seule, Monsieur, c'est sans doute une folie, mais...j'apprécie l'endroit.
- Venez vous assoir.

Il me désigne un banc sur lequel nous nous asseyons. Il jette un bâton à son chien qui se remet à festoyer.

- Vous vous baladez vraiment seule, ici ?
- Si je vous le dit.
- Pas de chien de garde ?
- Mon chien n'a rien d'un chien de garde, et je n'ai pas de voiture pour l'emmener.
- Vous n'êtes pas du coin ?
- Vous pensez bien !
- D'accord... vous faites des sports de combats ?
- De salon alors.

          

Un sourire soulage ses traits inquiets. Qu'il a fins, d'ailleurs, et biens dessinés. Toutefois, une cicatrice sur sa joue lui donne plus de dureté, malgré de tendres yeux noisettes.

- Ce serait un bon plan. Prenez gardes à vos arrières, et ne dormez jamais la fenêtre ouverte.
- J'essaierai... il me reste encore à explorer le coin. En regardant bien derrière moi, bien sûr !
- Sérieusement, faites attention. Ne vous laissez pas aborder par n'importe qui non plus.
- Hum...
- Rassurez vous de mon côté. Je ne vais pas vous sauter dessus, je risquerais de vous casser en deux.
- Qu'est-ce que ça veut dire ??
- Vous êtes bien petite...pour une femme qui se balade seule.
- Je n'ai pas de parents ici, ce n'est pas pour en avoir à Central Park.
- Déformation Pro.
- Vous êtes trop sur le qui-vive pour rester les fesses posées toutes la journée sur une chaise de bureau.
- Je les garde pourtant sur un siège de voiture.
- Chauffeur privé ?
- Bonne supposition.

Nous admirons le soleil qui se lève sur le lac... l'heure tourne hélas et perturbe sa tranquillité.

- Je crois que je vais y aller, dis-je.
- Bien, ne soyez pas en retard.
- Oui...

Ma phrase n'est pas finie, la rencontre non plus, par conséquence.

- Pourquoi êtes vous resté ? C'était plaisant de parler pacifiquement bien sûr, mais pourquoi donc ?
- Je ne suis pas bavard...mais vous étiez tendre, avec William. Je lui fait confiance. Sur-ce, bonne journée.

Et il s'en va. À mon tour, aller au travail en jogging n'étant pas ce qu'il y a de mieux.

J'ai accepté de manger avec Lisa pour le petit déjeuner. De nombreuses rumeurs semblent planer à mon sujet...il est temps de les éclaircir. Je ne sais pas pourquoi tout le monde fait une fixette. Je ne tarderais pas à le savoir.

- Salut Lisa, désolée d'avoir mis tant de temps...
- Tu as réussi à te libérer, c'est déjà bien.

Ses mains parfaitement manucurées serrent son sac. Elle n'est pas d'un bon jour.

- Où allons-nous ?
- Un restaurant rapide du coin. Vegan, car je le suis.
- Oh...
Nous sommes servies rapidement. Le restaurant est chic, mais je n'ai pas le temps d'en profiter. Elle me tire dehors, croquettes de blé à la main. Nous restons un moment dans la rue animée, faisant face au restaurant. Les pas se bousculent. Les voitures affluent sans s'arrêter. Ça n'empêche pas son silence d'être pesant. Elle croque sans me jeter un regard. L'ambiance est froide.

- Pourquoi m'as tu conviée, Lisa ?
- Je commence à croire que ce n'était pas la peine. Je ne vais pas encore une fois gaspiller ma salive pour des filles se croyant issues de la cuisse de Jupiter.
- Quoi ?? Que me vaut cette critique ?
- Tu sais très bien.
- C'est les rumeurs qui courent à mon sujet ?
- Comme d'autres avant. C'est pas étonnant.
- Écoute, si tu penses que j'ai cédé à ce qui parait être le pire coureur de jupons de la Terre, la réponse est non. Non je n'ai rien fait de plus avec Gabriel que de discuter et manger professionnellement au restaurant.
- Et le Starlite ?
- On a parlé, sans boire. Il est resté poli.
- Tu ne sais pas ce que tu risques...ne cède pas, Maya.
- Non je ne cède pas, je suis venue pour un travail, pas une partie de jambes.
- D'accord...
- Tu dois m'éclairer sur quelques chose...pourquoi c'est si dramatique ?
Elle se renfrogne face à cette question. Elle finit par répliquer :
- Parce que bien d'autres se sont cassées la figure au même poste. Un petit saut au lit, puis le lendemain, rien. Quand ça durait un peu plus, c'était plus douloureux. Plus pensant pour tout le monde. L'assistante en com qui sort en pleurs du bureau de Gabriel, puis qui est invitée à démissionner, très vite après. Tu ne sais pas ce que j'ai vu. Et c'est pas seulement moi, c'est tout l'étage et presque la firme. Ça n'anime même plus les commérages, c'est fréquent.
- C'est toujours la même chose ?
- Oui. Gabriel est un beau parleur, il a l'apparence romantique. Il sait séduire. Les assistantes sont toujours pas mal, il les as presque toutes faites.

Ne me laisse pas...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant