— Le Conseil siège au sommet de la tour, leur dit Thomas. Ces ascenseurs sont le seul moyen d'y accéder.
Pris au piège dans cette boîte d'acier, filant à une vitesse folle vers des hauteurs inimaginable dans leur dimension, Astrida et Stephen se cramponnent aux barres métalliques présentes.
— Vous n'avez pas de bons vieux escaliers ? s'enquit le sorcier. Votre truc-là... Ca monte quand même très vite.
— Nous ne sommes plus dans les années soixante, s'esclaffa Aivy. Qui d'autre peut encore avoir envie de monter des milliers de marches alors que cette technologie peut leur faire gagner du temps et de l'énergie ?
— J'ignore encore d'où vous venez, étrangers, enchérit Thomas, mais votre mode de vie semble demeurer archaïque tandis que le nôtre a su évoluer.
— Je t'en foutrais, moi, de l'archaïsme, souffla presque en silence Astrida, tandis qu'elle était presque certaine d'avoir entendu Stephen maugréer « Petit con ». Mais fort heureusement, nul autre qu'eux n'entendirent ces paroles, car l'ascenseur, après un laps de temps incroyablement court, ouvrit ses portes pour leur dévoiler une grande salle circulaire, aux parois entièrement vitrées. Alors qu'ils s'avancèrent pour sortir de cet engin de malheur, ils furent abasourdis par la splendeur du paysage qui s'offrait à eux. D'ici, ils dominaient tant la Terre qu'ils pouvaient en apercevoir sa courbure ronde et douce. Les nuages étaient à leurs pieds, dévoilant de temps à autres un morceau de la ville et de la nature entourant cette dernière.
— A quelle altitude sommes-nous ? se demanda à voix haute le magicien.
— Plus haut que n'allaient les avions, jadis, lui répondit une douce voix derrière lui.
Une voix que reconnut Astrida, dont le cœur déjà bien sollicité redoubla à nouveau d'efforts. Elle se tourna avec une lenteur craintive, ayant encore en mémoire le douloureux échange avec sa fille. Et pourtant cette dernière se trouva devant elle, grande, belle, souriante. Apaisée. Vêtue de blanc elle aussi. Et elle n'était pas seule. Le Conseil, comme annoncé, se constituait de différents membres. Qu'elle connaissait tous ou presque, ainsi que Stephen. A commencer par Tony Stark, le milliardaire qui, dans cette dimension, avait l'attitude moins hautaine. Steve Rogers était à ses côtés, toujours fidèle à l'image du gendre idéal, héros de l'Amérique, qu'il renvoyait au monde. Pepper Potts et Maria Hill, qu'elle ne connaissait que de nom et d'après photo, étaient présentes elle aussi. Charles Xavier, rajeuni, aux côtés de Moira, qu'elle avait connu jadis. Bobby et Malicia. Hommes et femmes se tenaient la main, formant des couples inattendus pour certains, connus pour d'autres. Et celui qui se tenait à la gauche de Raven était l'homme qu'elle espérait, celui aperçu sur les photos, dans ses rêves, celui qu'elle traquait : Erik Lehnsherr. Il était jeune, lui aussi, plus qu'il ne devrait l'être à cette époque-ci. Souriant, alors qu'elle ne l'avait jamais vu que tourmenté sur les brochures de presse, loin du personnage de Magnéto, froid, sombre, destructeur.
— Thomas, dit-il en voyant le jeune homme.
— Père, Mère, fit celui-ci.
Il alla vers le couple qui l'enlacèrent dans ses bras. A ce moment-là, Astrida se sentit défaillir. « Lui ! » cria la voix de sa conscience. La tête lui tournait alors qu'elle comprenait enfin ce que son instinct avait essayé de lui souffler dans la voiture, quand elle avait eu tout le loisir de le contempler, de le détailler. Comment était-elle passée à côté de sa ressemblance frappante avec chacun de ses deux parents ? Les yeux clairs, hérités de sa mère, tribus de Loki. La ligne de la mâchoire, droite et puissante, acquis de son père.
— C'est lui, lâcha-t-elle en défaillant.
— Astrida ! s'écria Stephen.
Il la rattrapa à temps. Elle n'était pas tombée dans les pommes mais presque. Le choc de voir sa fille en si joyeuse compagnie, le visage éclairé et détendu, loin de la jeune femme tourmentée qu'elle avait vu quelques jours plus tôt – son voyage n'était pas si loin que cela, après tout, même si des semaines semblaient s'être déjà écoulée – ainsi que la découverte de ce fils prodige qu'elle avait recherché dans toutes ces différentes dimensions, jusqu'à en risquer sa vie et celle de Stephen, avait fini par saper ses dernières forces. Après quelques secondes de flottement, elle réussit à reprendre quelques contenances. Elle remercia Strange tout en se redressant sur ses jambes encore un peu faibles, alors que personne d'autre dans la salle n'avait réagi.
— Désolée, se sentit-elle néanmoins obligée de s'excuser. La fatigue du voyage.
— Justement : d'où venez-vous ? J'imagine de très loin, si vous êtes capables de vous endormir debout sous l'effet de la somnolence engendrée par un pareil périple, se moqua Stark.
Au temps pour elle, dans cette dimension-ci, il était infect, alors qu'il demeurait supportable dans la sienne. Elle le foudroya du regard mais ce fut Stephen qui répondit, laconiquement :
— Nous venons de la Terre mais d'une dimension différente.
— Où, visiblement, la technologie est obsolète, commenta Thomas. Ces archaïques utilisent encore des escaliers.
Cette phrase provoqua l'hilarité générale, au grand dam de leurs visiteurs qui se sentirent un brin vexés, si ce n'est carrément humiliés. L'espace d'un instant, la conscience de la princesse se demanda pourquoi elle avait mis autant d'énergie à se lancer dans cette quête si c'était pour, au final, ne tomber que sur un abruti orgueilleux. « Tout a un but, Astrida » lui dit-on aux tréfonds de ses pensées. « Tu comprendras bientôt pourquoi ».
— Thomas, fit Raven d'une voix sévère à son fils, un peu de tenue, je te prie. Nous devons respect à nos invités. Leur savoir peut nous être utile.
Ses yeux bleus, limpides, croisèrent les prunelles sombres de l'Asgardienne. Un ange passa, tandis que le jeune effronté perdait son air supérieur et que sa mère reprenait la parole.
— Alors... Qui êtes-vous ?
— Nous vous l'avons dit, fit Strange, toujours sur la défensive alors qu'Astrida s'écartait de lui pour aller admirer la vue. Nous sommes des Terriens, venus d'une dimension différente. Une réalité... Alternative.
— Et qu'est-ce qui vous amène chez nous ? s'avança Stark, plein d'assurance, les mains dans le dos. Je veux dire... Le voyage interdimensionnel est encore pour nous un mythe, alors comment des gens employant des marches pour monter d'un étage à un autre ont pu franchir si facilement les barrières séparant nos deux réalités ?
— Je crois que nous allons garder ce secret pour nous, monsieur Stark, répondit d'une voix calme le sorcier, en relevant le menton. Si votre égo n'y voit pas d'inconvénient.
— Je vois que vous avez une piètre image de moi, dans votre dimension...
— Cela suffit !
La voix de Raven, plus grave, brisa le combat oral ayant lieu entre deux fortes personnalités à l'égo fragile : le brillant inventeur et le brillant chirurgien. Deux hommes dont la confiance dépassait les limites de l'imaginable et dont la joute verbale aurait pu durer encore très longtemps si la jeune femme ne s'était pas interposée. Elle semblait faire office de chef parmi cette assemblée, tant les autres demeuraient silencieux, admirant simplement les échanges avec leurs visiteurs venus d'un autre monde. Même Erik ne prenait pas la parole et la situation avait de quoi mettre mal à l'aise Astrida, qui restait immobile, debout, silencieuse, devant l'immensité du paysage de cette Terre. Yggdrasil avait eu bien du mal à renaître de ses cendres dans ce royaume. L'Arbre était fatigué. Il cachait à ses protégés terriens une terrible menace qui planait, venant des tréfonds de son monde, là où même ses racines n'avaient plus de prise. Ils n'avaient pas beaucoup de temps, songea-t-elle en relâchant ses épaules, lasse. Ses lèvres entrouvertes laissèrent échapper un discret soupir et elle se passa la main sur le visage, avant de se retourner pour voir les deux hommes se toiser.