"Ensemble, ça ira"

The pain ( Lucie )

Emma l'avait rejointe sur le balcon et elle n'avait toujours pas prononcé un seul mot depuis son arrivée. Son monde se réduisait à Emma la tenant par la taille et à ce balcon qui s'ouvrait sur la ville.

Si elle se concentrait assez là dessus, elle pouvait presque ne plus penser à l'horreur de ces pages. Elle pouvait presque faire comme si Jade n'avait jamais existé et qu'il n'y avait eu qu'Emma, encore et toujours.

Mais Emma la ramena soudain dans la réalité :

" Qu'est ce qu'il se passe ?"

Elle sentait dans sa voix qu'elle avait eu envie de lui parler depuis qu'elle avait pris place sur ce balcon il y a maintenant une dizaine de minutes mais qu'elle s'en était abstenue. Elle ne pouvait pas lui dire, elle en était incapable.

" C'est à cause de Camille ? Tu sais on peut toujours continuer à la chercher en dehors de la ville et peut être que...

- Non...

- Est ce que... c'est à propos de Jade ?"

Elle tressaillit à la simple mention de ce prénom, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Elle sentait son corps se tordre de tous les côtés, comme si la douleur la parcourait de part en part.

Elle s'était cristallisée dans sa poitrine, au niveau de son coeur, prête à la faire imploser. Et il y avait cette colère sourde qui gagnait du terrain, une colère comme elle n'en avait jamais ressenti, contre elle même  qui n'avait rien vu, contre ce putain de monde merdique.

Et cette ordure qui lui avait fait ça, elle aurait voulu qu'il connaisse cette même souffrance. Il l'avait tué. Indirectement mais il l'avait tué, ça ne changeait pas grand chose. Il aurait pu tout aussi bien appuyer sur la gachette et lui tirer une balle dans le crâne.

Elle grelottait maintenant, elle ne savait pas si c'était dû à la fraîcheur matinale ou si elle était dans une sorte d'état de choc, mais elle était en proie à des frissons.

Tout ce vide face à elle lui donnait soudainement le tournis, elle avait l'impression qu'elle était sur le point de tomber, mais que sa chute serait sans fin, qu'elle n'atteindrait jamais le sol.

Elle ne sentait même plus Emma derrière elle, ni l'air autour d'elle, tout ce qu'elle percevait c'était cette impression de chute infinie et cette douleur, cette colère qui s'intensifiaient, comme pour lui faire perdre pied définitivement.

" Je crois que je vais tomber...
- Viens avec moi à l'intérieur."

Elle se laissa conduire jusque dans l'appartement, Emma l'entrainant dans la chambre de Camille dont elle n'avait pas pris la peine de fermer la porte.

Iris était toujours dans la même position, recroquevillée sur le lit. Elle avait l'air d'une enfant qui venait de faire un cauchemar et essaie de retrouver un peu de sécurité.

Elle aussi elle se sentait comme dans un cauchemar dont elle ne pouvait pas s'échapper.

Emma ramassa le journal et commença à le lire fébrilement. Elle s'entendit prendre la parole, comme si on la commandait à distance :

" Tu ne devrais pas lire ça ?

- Je... j'essaye juste de comprendre...

- On ferait mieux de brûler ce truc.

- Donne le moi.

- Qu'est ce que..."

Elle eut envie de lui arracher le journal des mains et de le pulvériser. Alors c'est ce qu'elle fit, elle se saisit du journal, en arracha les pages avec une violence dont elle avait rarement fait preuve dans sa vie.

Elle voulait réduire ces mots à néant, comme pour faire disparaitre leur impitoyable réalité.

Des morceaux de papier virevoltaient autour d'elle tandis qu'Emma la regardait, complètement paralysée par ce qu'il se déroulait sous ses yeux. Quand elle en eu terminé, elle lâcha le journal par terre et avant qu'elle n'ait pu partir, Emma la retint par le bras.

" Pas maintenant Emma.

- Lucie...

- Laisse la partir."

Iris s'était relevé et elle fixait Emma d'un regard vide. Lucie s'éclipsa aussitôt, elle fouilla dans sa poche de blouson qui trainait dans l'entrée et mit la main sur son paquet de cigarettes.

Une fois dehors sur le balcon, elle en fuma une, deux, trois, quatre. Il n'y avait plus de place que pour la douleur. Elle la laissa se déverser en elle, pleurant de tout son saoul, son coeurse ratatinant encore davantage dans sa poitrine.

Comment pouvait on avoir si mal et être toujours en vie ? C'est la question qui lui vint à l'esprit lorsqu'elle finit par se laisser tomber par terre, la tête entre les jambes.

Elle ferma les yeux. Lentement, elle sentit le monde qui l'entourait devenir plus silencieux, comme si elle s'en éloignait. Jusqu'à ne plus l'entendre.