5h54
Mercredi, autrement dit la journée la plus belle de ma semaine. Trois heures d'anglais avec Théo, deux heures de français avec Madame Werek. Une après-midi remplie au grès de mes envies et habitudes. Paris avec Théo pour le déjeuner, et par la suite, j'ai toute mon après-midi pour faire à manger, ranger la maison, écrire et lire, simplement profiter du temps que je peux passer seule. Cour de harpe et entraînement de boxe le soir. Je ne peux rêver mieux. C'est ce genre de jour où je souhaite beaucoup de courage à celui ou celle qui veut me brusquer ou m'énerver, me blesser ou simplement me tester. Sur le qui-vive, tout en profitant du temps, c'est comme ça que je suis le mercredi. Les mercredis normaux, les mercredis avant que tout recommence, les mercredis avant que tout s'écroule à nouveau, les mercredis avant ce mercredi, tout simplement.
Car ce mercredi de janvier, je n'étais pas cette fille avec systématiquement un vêtement ajouré d'une rose, écouteurs soudés aux oreilles avec du King Princess qui y retentissait. Ce mercredi, j'étais cette fille cachée sous un pull grisé, écouteurs soudés aux oreilles certes, mais avec du Ludovico Einaudi qui faisait trembler mes tympans. Ce mercredi, mon estomac, mon corps et même mon esprit n'était pas décidé à me laisser profiter, ils étaient décidés à me faire regretter, à me rappeler d'où je venais, et pourquoi je n'aurais pas dû espérer, ni croire les espoirs et les promesses. C'était le troisième réveil de suite en pleurs, en sueur, terrifiée et pétrifiée par la douleur et la peur. Je redécouvrais mon corps dans un état de douleur tel que je ne l'avais pas vu depuis le dernier espoir qu'ils m'avaient donné. Depuis octobre je n'avais pas été comme ça, et aussi courte la période de calme avait-elle pu être, je m'y étais habituée. On s'y fait tellement rapidement, à ces situations où tout va bien, où rien ne cloche, que je m'y suis faite en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
Pourtant ce matin, je suis incapable de faire quoique ce soit. Mon réveil n'a pas eu l'occasion de me réveiller, mes yeux pleurants s'ouvrent d'un coup sans demander leur change. Mon corps ne m'offre qu'une seconde d'émergement avant de déclencher un rejet total du peu de bille que contient mon estomac à cette heure matinale. Sans réflexe, engourdie, paralysée par ces crampes qui accompagnent ces vomissements je n'arrive qu'à tourner la tête vers le sol afin d'épargner mes draps. Je ne sais que faire, la douleur s'amplifie au fur et à mesure que mon corps se réveille pourtant c'est comme si chaque seconde je perdais un peu plus de mes capacités physiques.
Je suis là, incapable de bouger le petit doigt. Les vomissements sont passés - à quoi bon vider un estomac déjà vide -, les pleurs ont cessés sans que je comprenne pourquoi ils avaient débutés, et je suis là, sans comprendre réellement où je suis. Ma chambre certes, mon lit, en trotte, pourtant il n'y a pas que ça. Ma table de chevet est inhabituellement remplie de bouteilles d'eau qui sèchent sans leur capuchon. Des cadavres de Gaviscon trônent sur une légère pile de révisions d'anglais. Mon tensiomètre que je n'ai pas dû sortir de sa boite depuis quelques mois est par terre aussi. Pourtant, dans ce décor apocalyptique je me suis dit qu'en tournant ma tête j'allais voir quelque chose de normal, d'habituel dans cette chambre. Et puis j'ai aperçu mes écouteurs branchés à mon téléphone, de suite, ils m'ont rappelé cette normalité que je cherchais. C'est en déverrouillant ce dernier pour me faire bruler la rétine que je me demande comment j'ai finis dans cet état-là. Et c'est là que je me rappelle, en un flash, en une fraction de seconde, comment tout ceci a fini, comment tout ceci a dégénéré hier soir, ici, dans cette maison et dans cette chambre. Je me souviens dans quel état je me suis endormie, yeux en pleurs et mains tremblantes. Je me souviens avoir vu mon père, puis ma sœur, ma mère aussi. Je me souviens de ma famille et de ces cris. Je me souviens de cette douleur qui me retournait les tripes. Je me souviens de cette énième engueulade encore une fois sur le même sujet. Je me souviens simplement de cette soirée où j'avais envie de tout éclater. Et puis je me souviens que si je ne l'ai pas fait, c'est simplement pour aujourd'hui. Pour ce mercredi que j'aurais voulu vivre comme les précédents. Pour ce mercredi où, comme les précédents, je voulais aller au lycée et parler avec Théo sans penser aux autres jours. Pour ce mercredi où, comme les précédents, je voulais remplacer les souvenirs des cris ou des jugements de la veille avec mes géniteurs par des souvenirs de rire ou simplement de compréhension avec Théo. Je voulais tant de choses avant que ça recommence.
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qu'est ce qu'on a
Teen FictionMercredi 10 janvier. Service d'Urgences de l'hôpital Necker, Paris. Une adolescente inconsciente. Pas d'accompagnateurs, personne à prévenir. Un mystère qui cache bien des secrets.