Prologue

114 2 6
                                    



25 avril 2033

Je marche droit devant moi. Le mercure grimpe comme tous les jours ici. La saison sèche bat son plein, je ne serais pas surpris qu'il fasse plus de 50°. Pas un bruit ne vient me déranger à part le léger souffle de ce vent si chaud. Mes pas crissent sur ce sol sablonneux brûlant. Même à travers mes vieilles baskets usées, je le sens. Je sais que c'est mon dernier voyage, mon aller sans retour. Je suis parti aux aurores ce matin, laissant derrière moi ce village, source de tous mes espoirs, de mes souffrances aussi. Je me refais le film de ma vie. Je me souviens de mes rêves d'enfant. Tous ces rêves qui se sont évanouis avant même d'avoir pu exister. Comment aurais-je pu imaginer une telle issue ? Je revois mon père me disant « je suis fier de toi », à cette époque si proche et si lointaine à la fois, je brillais de mille feux. Tout semblait me sourire. Ma réussite était éclatante, insolente même. Je n'aurais jamais imaginé que tout puisse s'écrouler ainsi. Toutes mes certitudes ont volé en éclat. Elles se sont éteintes en un instant. Tout ce en quoi je croyais s'est désagrégé dans cette nuit noire éternelle. Ah mon père ! Le serait-il encore, fier de moi ? J'en doute, ma vie a basculé, elle s'est transformée en poussière, désillusion et malheur. Je repense à mes enfants, si beaux, si purs, ils me manquent. Ma main vient de glisser machinalement dans ma poche droite, je caresse cette petite ampoule halogène qui est restée là, comme dans un écrin, depuis ce jour si funeste. Elle est douce, remplie de sens, elle symbolise tout à la fois mon bonheur passé et le mal qui a frappé notre ancien monde. La veille de cette nuit sans fin, ma fille m'avait lancé du haut de ses quinze ans : « Papa, j'ai une ampoule qui a grillé, tu pourras me la changer ? » Une phrase si simple, si banale, une scène de vie parfaitement normale. Son sourire m'illumine encore, son goût de la vie, notre complicité. Je me revois assister à ses matchs de basket. Je m'entends l'encourager, crier sur l'arbitre, retenir mon souffle au moment où elle s'élance vers le panier... J'ai envie de pleurer, là... plus pour elle que pour moi. J'avais glissé cette ampoule dans ma poche de jeans, pour pouvoir acheter la même au magasin de bricolage. Elle est restée là, figée me rappelant chaque jour ma douleur, me martelant à tous les instants ce vide. « Oh, Kelia tu me manques tellement ». À chaque fois que je changeais de pantalon ou de bermuda, elle reprenait sa place dans ma poche droite. C'était mon précieux, mon souvenir, ma fille, mon sang. Je l'effleurai chaque jour, et même plusieurs fois par jour, je l'effleure encore et je ressens cette tendresse infinie doublée de mon chagrin inconsolable. Et toi Lucas, je revois ton sourire si pur. Je repense à tout ce que tu aurais pu devenir. Droit, juste, sérieux, déterminé, si différent de moi et en même temps si ressemblant. Tes yeux, tes attitudes, tout te ramenait à moi quoique tu en penses. Je me souviens de cette phrase que tu m'avais dite alors que tu venais de souffler tes cinq bougies « Papa, je t'aime tellement que je sais pas quoi faire ». Je crois que ce sont les plus beaux mots d'amour que je n'ai jamais entendus. On aime son fils différemment de sa fille, mais Dieu que je t'ai aimé et admiré. Je regrette de ne pas te l'avoir assez dit. Alors que le fil de ma vie arrive à la fin de la bobine, je te le dis Lucas « Je suis tellement fier de toi ». J'aimerais tellement vous prendre dans mes bras tous les deux. C'est impossible. Je suis si seul, si mal... Je continue à avancer vers ce nulle part qui m'attend. Le soleil me brûle le visage, mais je m'en moque. Plus rien n'a d'importance. Je vais droit devant moi sans réfléchir. C'est peut-être ma dernière pause pour écrire sur ce cahier qui ne m'a plus quitté depuis mon départ. Il retrace mon périple, mes joies même furtives, mes doutes, mes plaies ouvertes. Je me demande bien d'ailleurs quelle est cette force qui me pousse à continuer à noircir ces pages. Pourquoi écrire sur ce cahier qui deviendra poussière comme moi ? Une force irrésistible me pousse pourtant à poursuivre pour une raison que j'ignore. Je ne m'arrêterai pas, j'attends d'être stoppé, j'attends un signe aussi, j'aimerais que Dieu vienne me cueillir, qu'il m'accueille dans sa maison, j'ai besoin de son amour, de sa douceur. Qu'il me prenne par la main, qu'il panse mes blessures. J'ai le droit, non ? Je veux m'endormir comme un bébé avec ce sentiment d'insouciance que je ne connais plus depuis si longtemps. Va-t-il m'entendre ? Est-ce que je le mérite ? Le bien, le mal, tout s'entrechoque dans mon esprit fatigué. Je ne sais plus.

*****

Celafaisait maintenant plus de trois ans que Sarah vivait dans cet espace confiné.À la fois privilégiée et emprisonnée. Le temps s'était arrêté. Un seul être luimanquait. Il fallait qu'elle lui annonce la nouvelle. Mais allait-elle pouvoirle retrouver ? Où se trouvait-il à cet instant ? Avait-ilsurvécu ? Voulait-il la retrouver ? Autant de questions qui restaientsans réponses...     

Le pacte NoaWhere stories live. Discover now