Le pacte Noa

Chapitre 1

7 juin 2015

— Toutes les sources scientifiques concordent, nous allons droit dans le mur. Le réchauffement climatique est inéluctable et aucune de nos économies n'est capable de renverser totalement cette tendance. Quelle que soit l'issue de ce sommet, nous savons très bien que nos efforts seront vains. Mais, si j'ai sollicité cette entrevue très secrète, c'est qu'un autre problème bien plus préoccupant doit nous pousser à une réflexion qui relève plus de la survie que de la politique ou de l 'économie. J'ai été alerté il y a quelques mois de plusieurs études scientifiques concordantes qui prévoient, annoncent même un choc magnétique d'une ampleur mondiale dans un délai très difficile à fixer précisément, les plus pessimistes évoquent dix à quinze ans à compter d'aujourd'hui, d'autres parlent de cinquante ou cent ans. Si j'ai demandé la tenue de cette réunion, c'est que nous sommes déjà dans l'urgence, nous devons unir nos forces pour tenter de sauvegarder ce qui peut l'être, non pas à l'échelle de la planète, mais uniquement pour organiser la survie de l'espèce humaine et de notre civilisation occidentale.

François Hollande venait d'ouvrir une réunion des plus secrète en marge du G7 le sommet des grandes puissances de ce monde. Ils auraient pu être huit mais la Russie en avait été exclue en 2013 à cause de la crise Ukrainienne et de l'annexion de la Crimée. Le sommet se tenait en Allemagne, au Château Elmau à Garmish-Partenkirchen. D'ailleurs l'un des grands enjeux était de préparer la conférence de Paris sur les changements climatiques et d'aboutir si possible à la signature d'un accord unilatéral sur l'abandon des énergies fossiles. Mais ça, c'était la version officielle que l'on donnerait en pâture aux médias du monde entier. La réalité était toute autre.

Sarah assistait à la scène. Elle faisait partie de ces privilégiés qui participaient à cette réunion classée secret-défense. Elle venait de fêter ses vingt sept ans, et pourtant elle occupait le poste hyper-sensible de chef de cabinet du premier ministre Manuel Valls. Elle avait toute sa confiance malgré son âge. Issue de cette génération Y qui n'avait peur de rien ni froid aux yeux. En dévisageant toutes les personnes présentes, elle remarqua qu'elle devait être la plus jeune de l'assemblée. L'histoire avait débutée très tôt pour elle. Ecorchée vive lorsqu'elle était adolescente, elle ne supportait pas les inégalités, déjà dans les cours de récréation, elle volait toujours au secours des plus faibles, s'interposait dans les bagarres, faisait fuir les agresseurs, consolait les agressés. Dès qu'elle eu l'âge de comprendre, elle détesta l'économie de marché, cette consommation effrénée qui tuait la planète à petit feu, mais le feu devenait de moins en moins petit, l'humanité allait droit dans le mur avec insouciance et orgueil. Oui, elle voulait révolutionner le monde. Dès ses quinze ans, elle s'était intéressée à la politique, déjà dans sa ville d'Evry ou pourtant elle faisait figure de nantie. Elle habitait la partie pavillonnaire où ses parents avaient fait l'acquisition d'une jolie petite maison, fruit de leur dur labeur des années durant. Dans ses années lycée, elle s'était mise à regarder les émissions politiques, à se passionner pour les débats pendant que ses amies passaient leur temps devant LOST. Elle penchait à gauche évidemment, mais les extrêmes la rebutaient, que ce soit le communisme ou les autres partis d'extrême gauche, elle les trouvait démagogiques, elle ne croyait pas qu'ils puissent un jour accéder au pouvoir. L'extrême droite, n 'en parlons pas ! Rien que de voir le nom de Front National sur une affiche ou à la télé lui donnait de l'urticaire. Elle leur trouvait à tous des petits airs de Nazillons en puissance et continuait à se demander comment il était possible de soutenir de telles thèses si éloignées des valeurs humaines élémentaires. Elle s'était donc tournée vers le parti socialiste qui associait des idées humanistes et sociales à sa capacité à gouverner, en plus les écologistes faisaient partie de cette grande famille de gauche. Et pour Sarah, l'écologie demeurait un incontournable. 2004 fut une année charnière pour elle, en début d'année elle avait pris sa carte aux jeunesses socialistes ; elle y avait trouvé une raison d'être et une seconde famille. Les élections régionales de 2004 allaient sceller son destin. Manuel Valls faisait campagne pour le parti socialiste. Sarah participait aux actions locales en compagnie de quelques autres jeunes militants qui se dévouaient corps et âme pour la victoire de leur parti préféré avec une passion que seuls les jeunes insouciants pouvaient avoir. Elle écumait les marchés pour distribuer des tracts et porter la bonne parole, le soir elle faisait équipe avec Jacques, un vieux de la vieille, pour coller des affiches un peu partout. Elle adorait l'écouter, surtout quand il évoquait la larme à l'œil ce fameux soir du 10 mai 1981 où la vague rose avait déferlé sur la France et amené François Mitterrand vers la plus haute fonction de l'Etat. Elle n'était même pas encore née, mais en écoutant Jacques, elle s'y croyait ! Il lui racontait cette France Joyeuse qui avait basculé à gauche, les roses partout dans Paris, la fête populaire qui s'en était suivie ! Son meilleur souvenir, assurément. Il lui expliquait comment cet immense espoir d'une vie meilleure s'était effrité en quelques années, nourrissant regrets et rancœur chez bon nombre de militants. Mais lui, il serait toujours là, socialiste jusqu'au bout des ongles. Elle admirait cette foi, la robustesse du bonhomme, la fidélité dans ses idées, elle aspirait à lui ressembler. Rapidement, elle fut remarquée par Manuel Valls qui s'émerveillait de voir une jeune fille d'à peine seize ans passionnée et dévouée aux causes du parti. Sarah dégageait une maturité, bien loin des filles de son âge. Elle parlait d'une façon raffinée, presque précieuse avec cette petite accentuation si Parisienne, tout du moins pour une certaine élite. Lors des réunions de préparation, il se rendit compte de la pugnacité de cette jeune fille et il la prit sous son aile. Il ne savait pas trop pourquoi, mais il sentait qu'une histoire allait s'écrire avec elle. Une rencontre exceptionnelle comme il en existait peu dans une vie, celle-ci en faisait partie. Le raz de marée socialiste du 28 mars 2004 n'y fut certainement pas étranger, vingt et une régions sur vingt cinq tombèrent dans l'escarcelle du parti socialiste, infligeant une claque cuisante au parti républicain de Nicolas Sarkozy alors au pouvoir. Ce succès fit renaître les espoirs socialistes, laissant entrevoir une future victoire du parti de la rose aux présidentielles. Sarah se souviendrait longtemps de cette soirée électorale en compagnie de Manuel Valls au siège Parisien du PS rue Solferino. Les médias ne s'y étaient pas trompés en voyant cette jeune femme, un sourire éclatant barrant son visage au soir de cette victoire historique. Elle s'était retrouvée en direct à la télévision, interviewée par l'envoyé spécial de France 2. Elle avait crevé l'écran, par son franc parlé, son énergie communicative, sa joie simple et sincère. Cela n'avait pourtant pas duré longtemps, vingt secondes tout au plus. Bien loin des discours alambiqués des personnalités politiques sur le plateau. Ce vent de fraîcheur n'avait pas échappé à Manuel Valls qui le lendemain lui avait envoyé un SMS dont elle se souviendrait toute sa vie : « Sarah, hier tu as porté les valeurs du socialisme avec punch, sincérité et brio, bravo à toi, amicalement ». Cet événement marqua son orientation scolaire, elle ferait science Po ! Sarah dégageait une détermination incroyable, elle gravit ainsi les échelons avec une force tranquille, comme François Mitterrand l'avait définie dans un slogan dont elle ne connaissait l'histoire que de la bouche de vieux militants passionnés comme Jacques. En 2012, elle allait fêter ses vingt quatre ans. Ses diplômes de science Po en poche, elle faisait maintenant partie de la garde rapprochée de Manuel Valls. Avant même les élections présidentielles, elle avait été prévenue qu'en cas de victoire, il la nommerait chef de cabinet. Elle n'en revenait pas, tant à l'époque son humilité l'emportait sur son ambition. Raison pour laquelle d'ailleurs, elle ne souhaitait pas s'engager directement en politique, elle préférait agir dans l'ombre. Pourtant la lumière lui allait bien, elle mettait en évidence sa peau blanche comme le lait, ses yeux bleu clair surmontés de sourcils épais qui faisaient ressortir encore plus leur couleur pure. Sa longue chevelure châtain foncé lui donnant des airs de star de cinéma. Sa bouche fine, dont les lèvres naturellement rouges soulignaient des courbes élégantes, donnait envie de l'embrasser. Mais elle ne se laissait pas embrasser si facilement. Sa vie amoureuse se réduisait à peau de chagrin, à part quelques flirts insipides, elle n'avait rien connu. Sa beauté n'était pas standard, elle ne laissait aucun homme indifférent, de nombreux prétendants s'y étaient cassés les dents ! Sa force de vie, elle la mettait dans le parti, et dans rien d'autre. Elle adorait agir concrètement, elle aimait être écoutée par ceux qui faisaient l'actualité. Elle se découvrait petit à petit une ambition qu'elle n'imaginait pas. Une ambition au service des autres. Au soir de l'élection présidentielle de 2012, elle savait que son destin pouvait basculer. Elle vécu l'élection de François Hollande, à la fois comme une victoire de ses idées mais aussi comme un point de départ d'une nouvelle vie, au contact direct du pouvoir suprême. Elle se souvenait exactement ce qu'elle avait ressenti ce soir là, un mélange de peur et d'excitation. Elle ne se pensait pas autant attirée par le pouvoir, mais après cette victoire, quelque chose de nouveau montait en elle, le sentiment d'être importante, d'être au cœur des décisions du pays. Elle allait jouer un rôle déterminant. Un rêve qui se réalisait. Un aboutissement professionnel. D'abord attachée au Ministère de l'intérieur, elle accompagna Manuel Valls dans son accession au poste de Premier Ministre lors du remaniement de mars 2014.