Chanson en média : Don't forget about me - Cloves
Aujourd'hui, la jeune-fille se sent d'humeur maussade, la douleur est toujours présente comme ancrée dans ses veines. Pendant de longues minutes, elle se demande si elle ne passerait pas la journée au lit à se morfondre sous la couette, essayant tant bien que mal de noyer sa peine.
Mais soudain, la voix délicate de sa mère retentit dans toute la maison :« Asma va m'acheter du pain »
D'un mouvement lasse, elle se lève en se frottant les yeux pendant que son esprit est ailleurs et pense encore à la disparition de sa grand mère.
La jeune-femme a enfilé un jean ainsi qu'un pull en laine gris avant de se rendre à la cuisine où sa mère l'attend un sourire éclatant aux lèvres et un petit déjeuner digne d'un festin de roi.
Asma esquisse un léger rictus pour dissimuler la tension qui s'est installée entre les deux femmes.
L'un des facteurs est sûrement la tromperie de son père mais l'éloignement des deux jeunes femmes n'a pas amélioré les relations. Le lien fort qui les unissait est désormais loin derrière elles, et il ne le reste que le goût de l'amertume sur leurs papilles.« Pourrais-tu te rendre à la boulangerie ? » demande d'une voix suave sa mère en
empoignant fermement sa cuillère.Asma se contente d'acquiescer puis de prendre un biscuit et de rapidement filer pour éviter le prolongement de ce moment douloureux.
La jeune-fille sait que face à se silence, sa mère est dans l'incompréhension totale et que cela lui crève le coeur mais c'est beaucoup trop difficile d'affronter ses démons.
Asma chasse ces pensées avant de prendre sa veste et de claquer la porte derrière ses pas lourds.La brise hivernale vient fouetter ses joues avec tant de force qu'elles rougissent instantanément. Une jolie bâtisse au crépis beige se trouve derrière elle mais l'hiver et son temps morose donne au petit coin d'herbe devant sa maison un air macabre et lugubre.
Les branches des arbres dansent au rythme effréné du vent et face à cette fraicheur, la jeune-fille serre son manteau plus près d'elle.
Un long soupir s'échappe de ses lèvres lorsqu'elle pousse le petit clos blanc et qu'elle prend la route usée vers la boulangerie.
Les rues sont désertes : aucun habitant n'ose sortir par un temps pareil.
Asma frissonne lorsqu'elle sent l'air frai dans sa nuque.
Elle profite du calme qui arrive presque à l'apaiser. Le bruit des oiseaux du matin et l'air hivernal de la nature participe à son semblant de bien être. Elle adore ce cadre bucolique, il lui donne l'impression d'être libre, intouchable, même face à l'effritement de son monde.
Lorsque le soleil se lève et que ses rayons se perdent dans les champs de coquelicots, elle se sent si en paix avec elle même que ç'en ait presque déroutant.
Elle connait le chemin par coeur et l'a fait des milliers de fois. Tant pour se rendre à la boulangerie mais aussi chez Nael.
Les jours pluvieux, lorsque les 3 amis ne pouvaient pas sortir, Anouk et Asma se dirigeaient toutes deux vers la maison de leur meilleur ami située dans une ruelle près du centre ville. Ses grands yeux verts et son sourire légendaire les attendaient toujours sur le pas de la porte.Les pas lourds de la jeune femme ont une résonance particulière comme si elle trainait son dur passé derrière elle.
Lorsque Asma se retrouve au coin de la rue et qu'elle aperçoit la maison de son ami ainsi que la petite serre où ils passaient le plus clair de leur temps, elle sent ses yeux se remplirent de larmes.
Et c'est au moment où des fragments de souvenirs enfouis refont surface, qu'Asma sent son coeur se torde et s'émietter dans sa poitrine, une nouvelle fois.~~~
1 an et demi auparavant :« Ce n'est pas un peu trop habillé pour un simple ciné ? » demande Asma sous les regards attendris de ses deux meilleurs amis.
Elle porte un pantalon tailleur et un t-shirt en maille qui la met en valeur : sa couleur verte fait ressortir la vivacité de ses yeux mais elle se sent terriblement ridicule.
« Absolument pas, ça change juste de tes gros sweats et de tes simples jeans » répond Anouck avec une pointe d'humour qui fait sourire Asma.
Elle souffle avant de s'affaler sur le canapé à coté de Nael et de se lamenter :
« C'est pas moi tout ça. »Nael qui pourtant n'avait pas parlé depuis un long moment, répondît d'une voix neutre :
« Vous allez bavarder de mode toute la journée ou est-ce qu'on peut aller grignoter quelque chose ? »
Les trois amis échangèrent un regard complice avant d'exploser de rire.
Nael avait toujours eu cette farouche habitude de faire une remarque totalement à coté de la plaque. Certaines étaient agaçantes, dues à son isolement constant : il était dans son monde, un monde si atypique mais tellement enrichissant pour son entourage. Mais d'autres de ses répliques arrivaient à détendre l'atmosphère dans les situations complexes, n'ayant pas d'issues.
Asma lança un coussin à son voisin avant de poser sa tête sur son torse.« Tu t'intéresses plus à ton incessante faim plutôt qu'à mes émois amoureux. Je suis contente de le savoir. » Commença la jeune-femme en prenant un air renfrogné.
Son ami lui lance un regard amusé rempli de tendresse.
« De toute façon, si je mange quelque chose, je suis persuadée qu'il ressortira vu mon taux de stresse. » Finit-elle en souriant. Pourtant son dire est véridique et on ressent son anxiété dans le son de sa voix.
Nael esquisse un sourire à cette remarque avant de câliner sa meilleure amie. Il entoure ses bras frêles autour de ses épaules et l'embrasse sur le haut se son crâne, à la commissure de ses cheveux.
« Même si je ne connais pas la dernière tendance ni le magasin en vogue, sache que tu es magnifique »
Il n'a jamais l'habitude de complimenter qui que se soit alors lorsque qu'il le fait, sa sincérité touche particulièrement Asma. En effet, son monde et son coeur sont si impénétrables, qu'ils sont semblables à d'impressionnantes montagnes aux visages impassibles. Son inquiétude a légèrement diminué et elle se sent prête à attaquer son rendez-vous.
« Mais c'est vrai qu'il te donne l'air un peu coincée ce look » Renchérît-il d'une voix amusée.
La jeune-fille lui donne une légère tape sur le bras avant de se diriger vers la cuisine.
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C'est avec les yeux songeurs et avec une pointe de mélancolie, qu'Asma continue d'avancer dans la ruelle déserte.
Son esprit divague et elle ne peut s'empêcher de penser à ses deux anciens meilleurs amis. Ils lui manquent. C'est inévitable. Pourtant le goût amer de la trahison et de la déception est encore présent au fond de la gorge de la jeune-fille.La boulangerie qui maintenant se présente à elle, l'extirpe rapidement de ses pensées. La façade est remplie de givre dû à ce temps et la porte qui d'habitude est ouverte, est fermée pour garder l'air chaud à l'intérieur. Asma passe avec hâte la porte en verre, et redécouvre le pays des délices, de nombreuses odeurs de pâtisseries captivent les narines de celle-ci. Elle avait oublié l'atmosphère si chaleureuse de la boutique et c'est lorsqu'elle essuie ses chaussures sur le paillasson de l'entrée, qu'elle se sent pour la première fois chez elle, depuis un certain temps. Si longtemps qu'elle se sent déconcertée durant de longues secondes mais, les pâtisseries appétissantes qui lui font front la sortent de son état second.
Elle est si obnubilée par les douceurs qu'elle ne remarque pas, Caroline, la boulangère qui s'attelle à la tâche.
C'est une cinquantenaire toujours souriante qui respire la bonté. Asma avait vu de nombreuses fois sa crinière blonde lorsqu'elle se rendait à la boulangerie mais aussi dans un tout autre contexte : lorsqu'elle allait chez Nael. En effet, Caroline est sa mère. D'un mouvement rapide, la boulangère se retourne vers le comptoir et lorsqu'elle voit la jeune-fille, de la surprise se lit dans ses yeux et un léger coquettement sort de sa bouche.Asma, face à la stupéfaction de celle-ci, essaye d'esquisser un léger sourire mais ses lèvres sont tellement crispées que cela lui provoque une douleur vive. Telles les flammes qui lui caresseraient la peau et brûleraient chacune de ses parcelles.
Caroline, essaye tant bien de mal de combler ce lourd silence et articule d'une voix gênée :
« A..Asma, que.. que fais tu ici ? »D'une voix si claire, que cela l'a surprend, elle répond :
« Ma grand mère vient de mourir alors je suis de retour en ville. »L'incompréhension de Caroline, laisse place à de l'empathie.
« Oh, je suis désolée. » Ajoute-celle si avec un air compatissant. Elle avance d'un pas, comme pour montrer son soutien à la jeune-femme qu'elle apprécie tant.
Asma, ne voulant aucune pitié, balaye d'un revers de main les condoléances de celle-ci, en concluant :
« Ça va aller, merci quand même. »
Même si la réalité est tout autre, et qu'un trou béant a remplacé son coeur, elle ne veux laisser transparaître aucune once de tristesse. C'était trop dur à assumer. Assumer qu'elle est plus bas que terre.
Rapidement, pour clore le sujet, Asma enchaine :
« J'aimerais une baguette s'il te plait. »
Caroline hoche la tête avant de demandé, hésitante :
« Pas trop cuite ? »
La boulangère empoigne un petit sac en papier en attendant la réponse de la jeune-femme.
Asma affirme d'une traite en essayant de cacher la nostalgie qui s'empare d'elle :
« Toujours. »
Elle a tant répété ce simple mot que ç'en ai douloureux. Sa langue lui pique et la brûle presque, une douleur plus communément appelée mélancolie.
Elle s'était jurée ne plus remettre les pieds ici, depuis la trahison de son meilleur ami, qui plus est, le fils de Caroline.
Pourtant, la revoilà, dix mois après, comme si rien n'avait changé, à redire avec légèreté leurs phrases habituelles. Mais Asma a bel et bien le coeur meurtri depuis si longtemps et en partie à cause de son fils.En tendant la baguette à la jeune-femme, Caroline ajoute d'une voix pleine d'espoir :
« Tu sais, ça me fait plaisir de te revoir en ville. Tu devrais passé nous voir, moi et Franck. »
Elle agrémente sa réponse d'un léger sourire. Puis ses yeux la trahissent, elle a envie d'ajouter quelque chose mais elle n'ose pas. Soudain elle se lance :
« Nael aussi serait content de te voir. Il est arrivé, il y a une semaine. »
Asma sent ses ongles s'enfoncer dans le pain frai et sa respiration devenir haletante.
Elle essaye tant bien que mal de se reprendre et de rester impassible face à cette phrase qui lui brise le coeur.« J'y songerai. » murmure-t-elle avant de quitter avec hâte la boulangerie sans attendre la réaction de Caroline. Lorsque la porte en verre se referme, elle sent ses jambes se dérober, n'arrivant plus à soutenir la pression.
Asma sait que la boulangère n'est pas au courant pas les causes des tentions et du silence entre les deux anciens meilleurs amis et que c'est mieux pour elle. Elle risquerait d'avoir le coeur brisé et la jeune-fille veut éviter à tout prix un autre dommage collatéral.
Pourtant, la boulangère s'entête toujours à les réconcilier, mais les blessures sont profondes, trop profondes. Tellement, que ç'en est impossible de passer au dessus malgré les liens forts qui les unissaient.Asma sent sa tête tourner, sûrement à cause du poids du chagrin et c'est le coeur lourd qu'elle se dirige vers chez elle. Durant le trajet, elle essaye tant bien que mal de retrouver la sérénité et l'harmonie qu'elle abritait dans son coeur quelques minutes plus tôt. Elle respire longuement en regardant les feuilles battrent à la cadence folle du vent. Les oiseaux babillent, pourtant leur mélodie dissonante, ressource légèrement la jeune-femme.
Mais inévitablement, comme de grossières chaînes qui la retiennent dans une prison semblable aux marges de l'enfer, Asma repense à ses tourments qui ne cessent de la tracasser.La jeune-femme est rattachée à la petite ville de Whistable, quoiqu'elle fasse, son âme et son coeur se sont immiscés lentement dans le squelette de cette ville, jusqu'à qu'elle y soit ancrée dans ses veines.
Les secrets de la ville rythment les battements du coeur d'Asma et elle sait qu'elle devra bientôt se délivrer de cette emprise néfaste.
Pourtant, elle n'est pas prête à tirer un trait sur les ombres de son passé.