Elle ne savait pas la haïr.
Elle n'avait jamais su.
Elle tenait trop à leur lien, si fort, endurci par les années et les épreuves, la santé vacillante, les marques sur la peau, et le courage, toujours, d'être là et de relever l'autre. Parce qu'elle n'y serait pas parvenue seule.
Même avec toute la volonté du monde, elle n'aurait jamais su la haïr.
Mais elle était broyée, à l'intérieur. Déchirée.
La vie n'aurait pas pu être plus cruelle. Entre amour et haine, il n'y a qu'un pas, dit-on. Mais ce pas était un gouffre immense, et l'homme n'était pas capable de voler.
Pourquoi la détesterait-elle ? Elle n'y pouvait rien. Personne n'y pouvait rien. C'était la vie, c'était ainsi. Tant pis.
Mais le chagrin était là. Le sentiment de ne jamais être assez bien, assez douée, et la peur, viscérale, de se retrouver seule parce qu'elle n'était pas assez douée. Pas assez intéressante.
C'était un sentiment qui dormait constamment en elle. Qui lui nouait la gorge au milieu de la nuit, qui lui trouait le cœur en plein cours. Qui la dévorait, à petits feux.
Mais pourquoi ? Elle se disait artiste, écrivaine, danseuse, et bonne élève. Mais ce n'était jamais assez.
Elle dessinait bien, mais elle dessinait mieux. Elle écrivait bien, mais elle écrivait bien mieux. Elle dansait bien, mais elle dansait beaucoup mieux. Elle avait des bonnes notes, mais elle travaillait tellement mieux.
Pourtant ce n'était pas faute d'avoir essayé de rivaliser. À n'en plus dormir pour travailler pour ses cours. À s'enchaîner à son bureau pour produire un dessin correct. À rejeter la lecture, parce qu'elle avait beau s'esquinter, elle n'écrirait jamais aussi bien. Mais c'était même pire. Ses notes n'avaient jamais été aussi basses, dû au manque de sommeil. Ses dessins jamais si affreux, du au manque d'inspiration. Et l'absence de lecture la transformait lentement en cette ombre que les livres l'avaient toujours empêché d'être.
Et pourtant, elle était tellement heureuse pour elle ! La voir réussir aussi bien, elle, l'oiseau si longtemps pris dans les filets du monde et des standards de "normalité", se libérait enfin, se révélait telle qu'elle était vraiment, pour devenir le plus beau phénix qu'elle avait jamais vu. Elle était heureuse, sincèrement heureuse.
Et tous les soirs, son amie se demandait si elle ferait partie de cette Renaissance, si elle pourrait, de loin ou de près, observer ce renouveau et lui manifester sa joie.
Mais au fond, tout au fond, elle avait mal.
Elle sentait le regard des autres dans sa nuque, elle entendait leurs sarcasmes, leurs quolibets.
Elle se sentait remplaçable, futile, voire invisible, telle l'ombre de sa gloire. Elle se noyait dans ce chagrin. Elle n'était que... Qu'était-elle au fond ? Rien du tout. Une ombre, un mirage, une illusion, destinée à on ne sait quoi, la protégeant et la relevant en cas de besoin, la soutenant si jamais, mais jamais, jamais, elle n'eut l'impression d'être une personne à part entière, mais toujours une prolongation de ses actes à elle. Sans elle, elle n'était rien. Invisible. Les autres ne la voyaient pas, ne la considéraient pas. Ils ne voyaient qu'elle.
Parce qu'elle, elle était unique.
Mais elle, elle n'était rien, rien, parmi tant d'autres.
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100 histoires
RandomLe tag des 100 histoires ! En gros je dois écrire 100 short stories, dans ce petit recueil. Yay. Ça fait quelques années maintenant, que traîne ce petit book, mais un jour je vais y arriver ! Me jugez pas trop sévèrement, on peut littéralement voir...