Chapitre 17 : Ce qui existe encore

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Je suis assis dans une pièce, à une table. Il y a plusieurs autres tables, et des chaises, mais je suis la seule personne présente.
On m'a demandé de venir ici, mais j'ignore pourquoi.


Les murs sont d'une belle teinte vert pastel. Je trouve cette couleur assez apaisante en général, mais, aujourd'hui, à cet instant, je suis plutôt nerveux.

Depuis tout ce temps que j'habite ici, à l'hôpital, je n'ai jamais eu de problème. Je ne comprends pas pourquoi on me fait venir ici. Ça ressemble à un problème.


La porte s'ouvre, et une petite femme austère, d'un certain âge, entre, et me tend la main.


« Docteur Hermann, se présente-t-elle, vous vous souvenez de moi, Jon ? »


J'étudie son visage grave, sa stature droite, sa chevelure grise attachée en un chignon strict maintenu par un pic à cheveux, son regard clair et franc. Est-ce que je la connais ? Mes souvenirs sont très flous.


« Nous nous sommes déjà rencontrés ? osé-je demander.

- En effet. Vous vous rappelez où ?

- Dans un café, me souvins-je. Non ? Ce n'est pas ça ? Vous aviez un livre...

- Non, Jon, je suis psychiatre, vous m'avez rencontrée ici. »


Les brumes de ma mémoire se dissipent un peu.


« Bien sûr, me reprends-je. Je vous ai rencontrée lors de mon admission, nous nous sommes ensuite vus en entretien quelques fois.

- Bien.

- Pourquoi je suis là ? »


La Docteur Hermann s'assied en face de moi.

« Je souhaiterais que nous ayons à nouveau un entretien », déclare-t-elle tranquillement.


Je me dandine un peu sur ma chaise, mal à l'aise. Cette femme est agréable malgré son apparence austère, je me sens plutôt en confiance avec elle, me souvins-je. Elle est intelligente et très cultivée, sa discussion est même très intéressante dès lors que nous parlons de sujets généraux. Mais lorsqu'il s'agit de discuter de moi-même, je n'éprouve plus le même plaisir. Je déteste répondre à des questions personnelles.

Mais la Docteur Hermann m'offre un regard et un visage ouverts, engageants, aussi je hoche la tête, soucieux de ne pas la décevoir.

Elle glisse vers moi un petit rectangle de papier à travers la table.

Je le prends entre mes doigts. C'est une photographie en noir et blanc d'une fillette, je reconnais immédiatement son sourire doux, son petit visage adorable, bordé d'une longue tresse.


« Danica...

- Oui, il s'agit de votre sœur. Dites-moi, quel âge a-t-elle sur cette photo ? »

Je réponds spontanément, sûr de moi.

« Cinq ans.

- Je sais que vous l'aimez beaucoup.

- Oui, dis-je sans peine, ravi d'avoir l'occasion de parler de ma petite Dani.

- Est-ce que vous vous souvenez de sa naissance ?

- Je... »

Mes pensées se troublent.

« Est-ce que vous vous souvenez de l'époque où Danica était bébé ? 

- Oui, un peu.

- Vous vous souvenez de la maison où vous habitiez ? De vos parents ?

- Bien sûr.

- Racontez-moi.

- C'était à Portland, nous habitions une grande maison. Mon père dirigeait une usine, c'est ça, une usine de pièces en acier. »


Je me souviens des longs couloirs, des pièces aux plafonds hauts, je me souviens de l'odeur chaude et lumineuse des parquets passés à la cire d'abeille, du bruit qu'ils faisaient en craquant.


« Et vous alliez à l'école où ?

- J'allais... »


Ma voix se bloque.

Je me souviens des après-midis où, me réfugiant à l'intérieur d'un placard, tendant l'oreille pour entendre les craquements du bois, je jouais à être dans le ventre d'un bateau roulant au creux des vagues. Je me rappelle de tout ça, comme si c'était hier. Mais l'école ? Non, pas vraiment. Est-ce si important ?


L'étoile qui commence et termine la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant