PARTIE 13.

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Un son étouffé mais moelleux traversa le mur épais et s'étala dans l'espace. C'était la voisine d'à côté, une petite jeunette de 24 ans qui en paraissant le double prise d'une toux incontrôlable. Selon Fleur, elle s'en sortirait, son état n'arrêtait pas de s'améliorer, elle avait meilleure mine. Mais il n'y avait que Fleur pour penser ça. Elle ne se serait jamais douté que la petite Lise partirait avant elle, de toute façon elles se verront cette nuit. La famille de Lise ne venait pas souvent, mais elle lui envoyait toutes les semaines une lettre avec un timbre sur les beaux paysages de la Guyane. Lise avait donné les timbres à Fleur, en échange Fleur lui avait appris à recoudre des boutons de chemises.

- J'ai vu Ethan hier.

- Il allait bien ?

- Ouais.

- Vous avez passé un bon moment ensemble ?

Il ne su pas quoi répondre. Ce qu'il s'était passé lui paraissait si absurde et si bête. Elle comprit.

- Qu'est-ce que tu as tiré de ce conflit ?

- Beaucoup de choses, fit-il après un court instant.

Il n'y avait plus rien à faire et Fleur devait quitter la chambre avant 17 heures pour rentrer chez elle mais ce n'était pas ce qu'elle avait prévu. Ils ne disaient rien, ne faisaient rien, ils passaient du temps ensemble et n'en faisaient rien. Ils respiraient.

Il était 13 heures, l'heure du journal. Elle alluma la petite télévision. L'écran grésilla un instant et l'image s'imposa maladroitement. La présentatrice était élégante et belle, Fleur jugea qu'elle avait une tête à porter des chapeaux melon. Jean-René avait déjà vu le bulletin d'information de 7 heures ce matin, inintéressé il changea de position dans le petit fauteuil et son regard se perdit sur Fleur.

Ses cheveux, ternes et secs retombaient en nœuds rebelles sur sa nuque fragile. Son visage et tout son corps étaient tendus, tirés, comme si elle n'avait plus assez de peau pour le recouvrir en entier et les os saillants roulaient sous le fin tissu. Il eut un bref sursaut du cœur, quand le cerveau détecte un danger imminent : il cru qu'elle allait se déchirer. Et elle était bien trop livide pour être encore considérée comme une personne faite de chaire. Elle ne semblait plus avoir de contours et il se tenait prêt à la retenir si jamais elle venait à s'évaporer dans l'air. Fleur, êtes-vous un fantôme ? lui demanda-t-il sans le lui dire. Il sortit son carnet et un stylo et la dessina. Les vers de terre avaient sûrement plus de talent que lui, aussi la Fleur de papier était un bonhomme en bâton en train de lever les bras en l'air. Mais ce bonhomme en bâton ressemblant traits pour traits à tous les autres bonhommes en bâton du monde avait cette qualité unique de représenter Fleur et personne d'autre. Il était fier. Pour ne pas que la Fleur de papier soit seule, il rajouta un nuage. Et un banc. Il aimait bien ça, les bancs.

Les bancs sont fascinants, toujours pleins de surprises. On peut y rencontrer l'amour de sa vie comme son assassin, on peut admirer un petit dessin d'abeille comme les tags les plus obscènes, on peut s'y faire larguer comme y faire l'amour. Les bancs savent tout. Un même banc sait quand se déroulera la prochaine fête lycéenne et le prochain échange mafieux. Les bancs ont tout vu, tout entendu, protégés par la banalité de leur existence. Un banc, c'est un peu comme un microcosme, tout un pan de vie de plein de monde peut y avoir lieu. Quand il s'asseyait sur un banc, Jean-René aimait bien imaginer ce qu'il avait vécu avant qu'il n'y pose ses fesses pour partager un bout de temps avec lui.

Il allait pour lui tendre la feuille de papier pour qu'elle puisse voir le dessin.

- Regarde !

C'était elle qui s'était exclamée. Elle indiquait le petit poste d'un geste qu'elle voulait ferme mais qui restait vague.

- C'est pas moi qu'il faut regarder, c'est la télé, ils parlent de toi !

Alors ça c'est quelque chose pensa-t-il, on parle pas de moi elle perd la tête. Il regarda pour lui faire plaisir. Un journaliste parlait.

-« ... devient très célèbre sur la toile. Tout à commencé par une internaute qui partagea cette photo en écrivant "J'ai retrouvé ça dans mon sac j'ai aucune idée d'où ça sort. Je suis troublée, ce type à vraiment compris comment il fallait voir le monde". »

Jean-René reconnu son écriture.

- « Puis, le phénomène a pris de l'ampleur lorsque d'autres internautes ont à leur tour partagés cette même découverte : "wow, grâce à ce texte j'ai appris à admirer les fourmis depuis tout ce temps je les voyais mal" ; "j'étais en train de râler parce qu'il pleuvait et puis j'suis tombé sur ça dans la poche de ma veste.. si en passant du côté d'Albi vous avez vu un type danser sous la pluie, enchanté c'était moi. Sérieux, j'étais le plus heureux." Les spécialistes qui ont analysé l'écriture se sont mis unanimement d'accord : il s'agit bien d'une seule et même personne qui partage ses écrits en les donnant secrètement à des inconnus. Cette démarche, chaudement saluée par les internautes, a donné naissance au hashtag "PoésieCachée" pour recenser toutes les œuvres de ce mystérieux artiste. »

Fleur ne souriait pas de bonheur. Ne sautait pas de joie. Ne rayonnait pas fierté. Elle l'était, évidemment. Mais son sentiment était bien plus profond et singulier. C'était comme la réalisation d'un projet qu'on sait d'avance réussi. C'est comme par exemple répondre à la question « Combien fait un plus un ? ». L'issue est inévitable. Que quoi qu'il en soit, que les aliens envahissent la Terre, que la Lune tombe ou qu'il y ait un dérèglement dans l'espace-temps, la réponse serait toujours et inévitablement deux. Et personne ne serait surpris car c'est si ordinaire. C'est un principe universel. Le même type de principe universel que la floraison de Jean-René. C'était comme ça et pas autrement. Indiscutable. Et elle le savait. Elle l'avait toujours su. Sa floraison... Fleur l'imagina avec des pâquerettes dans les cheveux.

- Tu te rends compte... fit-elle.

Il ne se rendait pas compte. Il devait avoir mal entendu. Il s'était peut-être assoupi. On lui chatouillait la main. Fleur la tenait entre les siennes. Son corps était fatigué et mourant et il voyait son âme briller, forte, sincère, au fin fond de ses yeux ternes. Il eut peur. Il n'avait jamais vu ça. C'était même impossible mais Fleur le faisait quand même.

- Écoute mon petit... Ce que t'écris... Ce que depuis des mois et des mois tu t'échines à produire et à partager au monde... T'as vu... C'est important pour les gens... Tu comprends ? Tu dois continuer. Parce que tu dois fleurir. Et tu dois faire fleurir les gens. Il faut fleurir. Pour qu'on sente bon. Le monde c'est, et ce sera toujours, un chaos continu. Un caillou est chaos, un lac est chaos, un paquet de mouchoir est chaos, ce que je te dis est chaos. Mais au moins il sentira bon. Tu comprends ? Comme les fleurs. Toi, tu vois un chaos fleuri. Tu vois un paquet de mouchoir, tu y mets des graines de jasmin, et ça reste un tout bête paquet de mouchoir mais il est beau, il sent bon, et on est tout de suite content d'avoir un paquet de mouchoir comme celui-là. Tu vois ? Tu comprends ? Promets. Tu promets ?

Il promit. Elle y croyait avec tant de force et d'amour qu'elle tenait l'équilibre du monde entre ses mains blêmes. Ils se regardaient droits dans les yeux jusque dans l'âme. Un échange unique. Son cœur malade battait fort par la puissance de sa vérité. Le cœur de Jean-René battait fort aussi frappé par cette assurance, cette conviction qui irait jursqu'à inverser la rotation du système solaire. Alors, il se mit à y croire aussi. Pour ne pas briser l'équilibre du monde. Ses mains sont froides, ça ne va pas. Elle parla.

- Il faut fermer la fenêtre, je préfère avoir froid à la montagne.

Ils se regardaient encore. Tout était dit.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 24, 2019 ⏰

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On se reverra dans les étoiles.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant