Promesse - Dantoply

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Réard se tenait sur le seuil de la porte. Il était accompagné de sa fille, Emma. Elle était la prunelle de ses yeux depuis le décès de sa femme, dix ans auparavant. Depuis, il l'avait élevée seul dans leur propriété, au sud de Chasternay. Il avait préféré attendre avant de la présenter à la cour du roi Liquen, souhaitant lui épargner une vie de futilité, si loin du caractère de la jeune fille. Il aurait mieux fait de l'amener dès son plus jeune âge à Lynmesse, les murs de la capitale auraient pu la protéger et ils ne se retrouveraient pas à Falchia, cette petite bourgade située à deux heures au sud de Matricia, capitale dantoplyenne.

*****

La doyenne du clan Nampot les pria d'entrer et les invita à s'asseoir, ce qu'ils firent. Elle était grande et sèche ; elle devait avoir plus de soixante ans étant donné le nombre de rides qui foisonnaient sur son visage. Elle semblait dure. Elle observa un long moment ce noble chasternay : il n'était plus tout jeune mais avait conservé une certaine prestance, des cheveux gris ornaient ses tempes, l'inquiétude et le chagrin avaient rendu sa bouche et ses charmants yeux bleus tombants. Sa fille, quant à elle, lui laissa une drôle d'impression : elle était belle, joliment vêtue dans sa longue robe crème, un châle de dentelle posé sur les épaules. Par contre, elle était menue et son bassin semblait étroit, cela poserait problème lorsqu'elle donnerait naissance. Elle avait hérité de la forme du visage de son père. Elle était pâle, et ne souriait pas. Son regard bleuté paraissait vide.
Réard avait expliqué la situation à la doyenne et ils se rencontraient pour la première fois afin de conclure une alliance entre les deux familles. Néanmoins, si sa fille s'y opposait, rien ne pourrait avoir lieu ; il avait conclu un marché avec elle dès son plus jeune âge : une fois adulte, elle aurait le loisir de choisir son époux. Et même si les événements avaient rendu cette promesse caduque et une union rapide obligatoire, il n'irait pas contre la volonté de sa progéniture.

Un homme entra et se présenta sous le nom d'Oliam. Il avait bien huit ans de plus qu'Emma. Il était élancé mais malgré tout musculeux, son visage était marqué par le soleil. Ses joues étaient creusées par les soucis. Pourtant, ses yeux, aussi noirs que ses cheveux, avaient conservé une expression rieuse.
La jeune fille l'observa attentivement. Elle ne souriait pas et ses traits ne montraient aucune émotion. Elle détourna le regard quand il posa le sien sur elle.
Ils partagèrent un copieux repas, composé principalement de légumes ainsi que de fruits du pays. La doyenne et Réard firent la conversation puisqu'aucun des jeunes gens ne s'adressèrent la parole. Une fois le déjeuner terminé, Oliam proposa à Emma une promenade. Elle le suivit sans enthousiasme.
Il ne l'emmena pas vers le village. Il se dirigea vers la forêt et emprunta un sentier ombragé. Elle le suivit tout en gardant une certaine distance. Il pénétra sous le feuillage émeraude des arbres, laissant passer la lumière diaphane mais aussi la douce chaleur du soleil. Elle hésita à continuer, elle ne se sentait pas à l'aise : il n'était qu'un inconnu et elle ignorait où il la conduisait. Elle s'arrêta, jeta un œil derrière elle, les habitations étaient encore en vue mais plus pour très longtemps.

*****

Oliam, n'entendant plus les pas de la jeune fille, se retourna et la vit à quelques mètres derrière lui, elle regardait alternativement l'orée du bois puis lui. Il soupira. L'apprivoiser lui prendrait du temps et de l'énergie, cependant il s'en savait capable pour ses fils, ils avaient besoin d'une mère. Et quitte à prendre épouse, autant qu'elle soit agréable à regarder.
En quelques enjambées, il la rejoignit et lui tendit une main qu'elle ne prit pas. Elle tressaillit lorsqu'il précisa :
« Je ne vous ferai aucun mal. Je tiens à discuter avec vous des modalités de notre alliance. J'estime que cette partie ne regarde en rien la doyenne, pas plus que votre père. Et puis, c'est l'occasion de vous montrer l'endroit où nous vivrons si vous acceptez notre union. »
Elle ne le regarda pas dans les yeux, elle en était incapable, son regard était trop sagace à son goût, elle avait la sensation qu'il lisait en elle comme dans un livre ouvert. Elle passa devant lui, toujours sur ses gardes.

Tour de Gê en 7 contesWhere stories live. Discover now