Spectre ?

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Une angoisse profonde rampait dans les entrailles de Carmen tandis qu'elle regardait avec circonspection ses trois amis absorbés par leur rite ésotérique. La froideur avec laquelle ils immolaient l'arthropode laissait croire qu'ils avaient pratiqué ces sombres routines toute leur vie. Sur l'écran de son ordinateur, les formes rouges captées par la caméra thermique se mouvaient de concert sans aucune concertation. L'ordre n'était plus maintenu par le consentement des raisons, mais il émergeait des corps ; les consciences étaient effacées et remplacées par un lien immatériel organisant le mouvement. Fallait-il les interrompre ? Carmen hésita, si elle faisait tout rater les autres lui en voudraient, mais si les choses tournaient mal elle le regretterait toute sa vie. Elle se ravisa, après tout, que pouvait-il arriver de pire ? Elle ne croyait pas en ces histoires de possession et de malédiction. Si ses amis devaient subir des insomnies pendant les deux semaines à venir, traumatisés par leurs expériences lugubres, il était probablement trop tard, la peur devait déjà avoir colonisé leurs cerveaux. Elle senti un frisson parcourir ses bras, la température de la pièce avait diminué à mesure que le soir tombait.

Les ombres s'étiraient, sortant de leur torpeur, pour jouer avec les couleurs avant qu'elles s'échappent toutes. Carmen alla chercher un pled sur son lit, décrochant son regard de l'écran pendant un instant. Elle prit le temps de s'enrouler dedans, assise sur sa chaise de bureau. Quand elle fut confortablement installée, elle frotta ses yeux, puis posa à nouveau son regard sur l'écran. La flamme centrale s'était éteinte, Achyl venait probablement de l'éteindre en versant du sable dessus comme l'exigeait la procédure du rituel. S'approcha son moniteur pour mieux voir ce qui semblait être un halo rouge, une source de chaleur dont elle n'expliquait pas la provenance grandissait doucement. Cela ne ressemblait à rien qui ait été vu avant à travers l'œil de la caméra : les surfaces émettant de la chaleur apparaissaient comme aplats de couleurs vives, mais l'étrange manifestation était intégralement noire et émettait un étroit spectre de rouge pâle. Comme de l'encre noire jetée dans de l'eau claire, la tâche sombre grossissait et se mouvait avec la nonchalance organique d'un poisson agonisant. Après un moment elle s'étendit avec plus de vigueur comme si elle avait réussi à prendre le contrôle d'elle même. Carmen était médusée, la panique l'avait saisie, elle ne savait pas si elle hallucinait. C'était trop improbable, la corrélation inenvisageable, ce rituel avait trop bien fonctionné. La forme ayant acquise une taille suffisante pour dépasser les jeunes gens assis, elle s'élevait, menaçante. Carmen se rua sur son téléphone, bafouilla quelques quelques mots incompréhensibles avant de crier dans le microphone "Y a un truc là c'est bizarre !"

L'appel était parasité. Un bruit blanc agressif sortait du haut parleur de Carmen qui n'avait plus aucun contact avec ses amis. Le spectre semblait manœuvrer dans les airs, il s'orientait, il commença à glisser lentement vers Brigyt.

- Non non non non..." marmonnait-elle nerveusement. La forme glissait désormais au dessus de la tête de son amie. "J'hallucine, c'est peut-être un bug, pourquoi je panique, ça ne peut pas être réel..." pensait-elle à voix haute. Impuissante, elle regardait le spectre s'enrouler autour de Brigyt. Pendant un instant l'apparition s'immobilisa, pendant un instant, Carmen reteint son souffle. En apnée partielle, elle ne lâchait pas du regard la projection rouge vif formée par la chaleur corporelle de son amie, autour de laquelle l'obscure substance s'était enlacée.

- C'est probablement un bug" se dit Carmen avec toute la bonne volonté qui lui restait.

La chose se resserra brusquement autour de Brigyt, et sembla disparaître à l'intérieur d'elle. Sa victime fût prise d'un spasme. Le rouge vif indiquant qu'elle émettait de la chaleur corporelle vira soudainement au violet. Sa température venait de chuter brusquement. Du téléphone de Carmen une aspiration étranglée jaillissait. La communication avait été rétablie, au moment ou Brigyt avait été attaquée par le monstre. Carmen hurlait son nom au bord des larmes, les autres virent autour d'elle, alertés par sa respiration.

- Sortez d'ici vite !" Cria-t-elle. Ses deux amis s'empressèrent de ramasser la caméra et allèrent retrouver les dernières lueurs du jour à l'extérieur, la troisième acolyte sur leurs épaules, comme on porte une blessée à la guerre.

L'Œil PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant