All I See Is You

CHAPITRE 1

Après une épreuve douloureuse, on nous conseille souvent de tourner la page et d'oublier mais c'est impossible. Oublier est un leurre, un mot inventé par l'homme pour accepter le mieux possible les douleurs du passé. Sauf qu'on arrive jamais à oublier. Il y a toujours un moment où notre esprit se rappelle la douleur qu'un évènement a pu provoquer en nous. Je n'avais jamais réussi à oublier. Je n'avais jamais réussi à tourner la page. Je n'ai jamais réussi à oublier cette nuit du 23 août, cette nuit où ma vie a basculé en un instant et a viré au cauchemar.

Je me souviens encore de la douleur, des pleurs, des cris, du poids énorme de la culpabilité qui pesait sur mes épaules. Et il y avait aussi le bruit assourdissant des sirènes. Cette housse transparente dans laquelle ils ont mis son corps avant de le balancer dans l'ambulance et moi, complètement pétrifiée, en train de regarder la scène comme si mon corps tout entier ne m'appartenait plus. Comme si mon âme s'était évaporée hors de mon corps. Je ne ressentais plus rien à ce moment-là. Je voyais l'ambulance emmener le corps de Jenny loin de moi et je ne pouvais rien faire. Je me sentais impuissante et horriblement coupable.

C'était il y a près de huit ans et pourtant, je n'ai jamais oublié cette nuit-là. C'était comme si elle faisait partie de moi, comme si c'était un tatouage que j'avais malgré moi, comme si c'était une plaie ouverte qui ne se refermerait jamais. Malgré tout ce temps passé à essayer de faire mon deuil, je n'y étais même pas parvenue. Alors, chaque année, c'était la même chose. Je n'arrivais pas à trouver le sommeil, je me sentais nerveuse et j'étais odieuse avec mon entourage lorsqu'arrivait cette date fatidique. Cette date où, ma vie a été complètement chamboulé par cette nuit tragique. Cette nuit d'horreur que je ne pourrais jamais oublié malgré mes efforts pour tourner la page.

Sauf qu'en y réfléchissant, un être humain n'est pas un livre...

Il m'avait fallu un long moment pour guérir de cette nuit-là même si en y repensant, je sais que je ne guérirai jamais vraiment. Quand mes parents l'ont enfin compris, ils ont fini par quitter Portland avec ma sœur et moi pour New-York. Je n'arrivais pas à croire que mes parents décident de tout plaquer pour s'installer dans une ville qu'ils n'ont jamais apprécié.

Mais vivre en face de la maison de ma meilleure amie décédée n'était pas seulement difficile pour moi, ça l'était pour eux aussi.

Alors nous nous sommes installés au Standish et j'ai terminé ma scolarité dans un lycée privé. Le repère de tous les gamins pourris gâtés. J'avais essayé de reprendre le cours de mon existence devenue complètement pourrie après la disparition de ma meilleure amie et j'avais essayé de m'intégrer. Je n'avais parlé à personne de cette nuit du 23 août. D'ailleurs, je n'en avais jamais reparlé à qui que ce soit. Même si son fantôme revenait sans cesse dans mon esprit pour me jouer des tours, j'avais décidé de l'ignorer. Je voulais reprendre une vie normale.

Même si chaque année, le fantôme de ma meilleure amie, cette sublime blonde aux yeux noisettes refaisait surface comme pour me rappeler qu'elle sera toujours là.

C'était exactement ce qui était en train d'arriver en ce moment. Mon esprit revivait cette nuit-là. Je voyais Jenny s'amuser, danser, embrasser à pleine bouche celui que j'appelais son "petit-ami" mais qui ne l'était pas vraiment pendant que je buvais ma bière en la regardant faire. Jenny était tellement belle. J'aurais tellement voulu lui ressembler. Elle attirait les garçons, elle était populaire et on aurait dit que rien ne lui faisait peur, qu'elle n'était pas du tout timide.

En somme, elle me ressemblait peut-être physiquement, mais elle n'avait rien à voir avec moi.

Jenny était complètement différente de moi et parfois, je me demandais comment on pouvait être amies toutes les deux. Et pourtant, malgré nos différences, nous nous considérions comme des sœurs. Jenny avait toujours été là pour moi quoi qu'il puisse arriver. Elle ne m'avait jamais laissé tomber.