Le lendemain, je m'étais éveillé tôt. Le soleil ne se lèverait que d'ici une demi-heure. Eiran dormait paisiblement sur moi, j'étais un coussin très confortable, vu son expression détendue et le léger sourire que je percevais. Sa chaleur était réconfortante, bien que je meure de chaud. Rebekah dormait près du feu dans un sac de couchage.
J'avais dormi comme une masse, mais je ne me sentais pas forcément reposé. Mon genou m'élançait déjà et je n'avais pas encore bougé... La journée serait longue. Je lâchais un soupir, qui manqua de réveiller le Dragon, cependant il se contenta de se coller un peu plus à moi en poussant un râle d'aise. Je souriais avec tendresse sans même m'en rendre compte.
Durant de longues minutes, j'observais le toit éprouvé par le temps, étant donné que je n'avais que ça à faire. Il me faudrait sans doute boucher les quelques trous avant qu'il ne pleuve... Sinon le lit serait trempé.
J'hésitais à bouger ou à me dégager, de peur de réveiller le Dragon endormi. Par expérience, ce n'était pas du tout une bonne idée de les tirer de leur sommeil trop brutalement... Puis Eiran semblait si serein.
Avec douceur, il se réveilla plus ou moins, nichant son visage dans mon cou, sans doute à la recherche de réconfort. Le pauvre. On avait dû le priver de ça depuis trop longtemps. Même si un Dragon était avant tout une créature féroce, prédatrice et dangereuse, cela n'empêchait pas qu'ils aient leurs moments de douceur et de tendresse. Particulièrement avec leur Dragonnier ou quelqu'un de qui ils étaient proches...
Et cela me touchait vraiment au plus profond de mes tripes qu'il m'apprécie à ce point. Je me sentais tout drôle de sentir quelqu'un aussi proche... Depuis la mort de Fernier, je n'avais laissé personne être ainsi avec moi. Assez inexplicablement, ça ne me dérangeait pas du tout avec Eiran, alors que je repoussais toute marque d'affection depuis toutes ces années.
Ma main caressa sa tête doucement, il ne bougea pas, cependant un gémissement d'aise trahit qu'il était réveillé. En soi, c'était flatteur qu'il se montre si vulnérable en ma présence. Cela ne me gênait pas. Fernier n'était pas de ce genre-là, mais ne m'avait jamais repoussé quand je me logeais dans ses bras... Ce n'était qu'un juste retour des choses que j'accorde cela à Eiran.
Ce moment de douceur ne dura pas longtemps : ses écailles se mirent à crépiter d'une charge électrique inquiétante. Surtout pour moi.
– Euh, Eiran ? Appelais-je alors, tu pourrais, euh, limiter les...
Il grogna. Les charges électriques cessèrent alors. Cependant, son doux visage serein laissa place à une grimace douloureuse... Retenir sa puissance ne devait pas du tout être agréable. Il ne tarda pas à se lever, l'air groggy.
Un peu inquiet, je l'avais suivi dehors. Il marcha quelques mètres pour s'éloigner des arbres, puis ses écailles laissèrent échapper des arcs électriques deux fois plus grands qu'avant. Cela monta en puissance rapidement, jusqu'à presque atteindre l'eau du lac. Au sol, l'herbe commença à brûler.
– E-Eiran, tu devrais peut-être arrêter de...
Il se stoppa net et m'observa étrangement. Comme s'il se rendait compte de ma présence à cet instant précis. Le pauvre avait les traits encore tirés par la fatigue et ne semblait pas vraiment réveillé.
– Pardon, murmura-t-il, je t'ai fait mal ?
J'avais fait non de la tête, puis j'étais passé devant lui pour rejoindre le lac, histoire de me rincer un peu. Mine de rien, avec la chaleur qu'il avait dégagée toute la nuit, mes vêtements étaient humides de ma sueur. Sans me gêner, je m'étais mis en sous-vêtements sur la rive, puis je m'accroupis dans l'eau froide du lac pour me débarbouiller.
Eiran m'observa avec curiosité et une certaine fascination. Certains Dragons aimaient l'eau, d'autres non, certains en avaient même peur... Fernier aimait se baigner le soir, après une journée à se dépenser ; ça le détendait. Cependant, concernant Eiran, je ne saurais dire. L'eau conduit l'électricité, donc il ne valait mieux pas qu'il mette les pieds dans le lac en même temps que moi ! Surtout s'il se déchargeait – même sans le vouloir. Peut-être n'avait-il pas besoin d'aller dans l'eau pour se nettoyer.
D'un doux geste de la main, il effleura l'eau. Moi, je priais pour qu'il se contienne et ne m'électrocute pas. À mon plus grand soulagement, il abandonna l'idée de patauger dans le lac pour laisser son regard vagabonder sur l'horizon. Il ne me regarda que lorsque je fus complètement dans l'eau.
Après avoir bien respiré l'air frais du matin, j'avais plongé sous l'eau. J'adorais l'eau. Oui, je sais, pour un Dragonnier qui avait la charge d'un Dragon de Feu, c'était paradoxal ! Mais je devais bien avouer que c'était Fernier qui m'avait choisi plus qu'autre chose... La froideur et la sensation de l'eau sur ma peau étaient vivifiantes ! Si seulement je pouvais rester ici plus longtemps que quelques minutes...
– Elioth ! M'appela Eiran.
J'étais remonté à la surface juste au moment où il m'avait appelé. Le temps pour moi de reprendre mon souffle et dégager de mon visage les gouttelettes d'eau que je le vis complètement paniqué, à genoux sur le bord de la rive. J'avais nagé quelques dizaines de mètres.
– Hé, qu'est-ce qu'il y a ? Demandais-je alors.
– Tu ne remontais pas !
Hm, ça ressemblait fort à un reproche. Il avait eu vraiment peur, ça se voyait. Je l'avais rejoint rapidement, puis il m'accueillit avec une serviette et une moue contrariée.
– Tu es fâché parce que je nage ? Riais-je alors.
Il m'ignorait, la moue boudeuse, aussi m'étais-je excusé platement, bien que je ne voie pas le mal là-dedans. Parfois, actes et paroles étaient mal interprétés par un Dragon – surtout s'il venait d'arriver dans notre monde, comme Eiran. Mais là, je ne voyais pas vraiment où était le mal.
Je m'étais approché de lui au maximum pour caresser sa joue avec ma main. Il ne devait sentir que la chaleur que je dégageais, mais cela semblait lui aller ; il sourit malgré lui.
– Tu peux me dire pourquoi tu m'en veux ? Murmurais-je alors.
Il haussa les épaules, le regard vague. Je pense qu'il devait se rendre compte que c'était puéril et idiot, puisqu'il finit par me prendre dans ses bras pour être rassuré.
– Pardon, murmura-t-il à mon oreille. J'ai eu peur que tu ne remontes plus...
– Tu n'aimes pas l'eau ?
Il fit un non de la tête en me serrant un peu plus fort. Je pensais même qu'il en avait peur. Ce qui expliquerait tout !
– Ne t'en fais pas, je sais très bien nager, d'accord ?
Il hocha la tête simplement.
– On ne t'a jamais appris à nager ? Demandais-je finalement, après un long moment de silence.
Son regard trouva le mien un peu perdu :
– Ben je... Je ne sais pas. Peut-être... ?
Comment ça, « peut-être » ? Il devait bien se souvenir de ça, non ? Surtout s'il avait peur de l'eau ! Pourtant, il semblait réellement l'ignorer.
L'envie de le questionner plus en profondeur me taraudait, mais son attention fut attirée par du bruit dans la cabane. Rebekah devait sans doute s'affairer pour préparer le petit-déjeuner... Et Eiran ne résistait pas à l'appel du ventre. Après ces mois difficiles, je le comprenais bien – voire, même, je l'encourageais à manger. Je surveillais tout de même qu'il n'abuse pas des bonnes choses ; si je pouvais éviter de me retrouver avec un Dragon malade sur les bras, ce serait bien.