Ils finissent par rester dans le bunker pendant plusieurs jours le temps que la cheville de Peter se rétablisse. Chaque journée se passe un peu comme la précédente; Pays-Bas se réveille toujours le premier et monte à la surface pour aller chercher des provisions tandis que Danemark reste avec Peter et joue à des jeux avec lui. Ils déchirent plusieurs pages du carnet de croquis pour en faire un jeu de cartes de mauvaise qualité et Danemark lui apprend à jouer au rami et au black jack, ce qui ne fonctionne pas très bien étant donné qu'ils peuvent voir les chiffres à travers le papier. Mais ils s'améliorent et au bout de quelques jours, Danemark admet à contrecœur que Peter l'a surpassé et lui propose de lui apprendre plus de jurons comme récompense, un prix que Peter met en attente, ne voulant plus s'emmêler les pinceaux en essayant de prononcer les mots que lui propose le Danois.
"C'est trop dur", lui dit-il. "Apprends-moi à dire quelque chose de sale dans une langue qui a du sens."
Il passe plus d'une heure à essayer de bredouiller en vieux norrois avant de se rendre compte que Danemark se moque de lui, et finit par lui jeter une boule de papier dans la tête et demande à savoir ce que signifie "perkele". Danemark lui dit que ça veut dire "j'aime Suède" en finnois et l'encourage à utiliser ce mot fréquemment la prochaine fois qu'il verra les autres.
Les choses restent, la plupart du temps, calmes. Pays-Bas revient chaque jour à peu près à la même heure, les mains vides, et leur donne un aperçu de ce qu'il a vu pendant la journée. Un arbre récemment tombé ici, empreintes dans la cendre. Il ne parle pas beaucoup quand ils sont tous ensemble, mais Peter les surprend, lui et Danemark, discutant à voix basse pendant les heures tardives de la nuit lorsqu'ils pensent qu'il s'est endormi, et ils échangent des informations sur leurs périples et les horreurs qu'ils ont subies. En faisant semblant de dormir, il apprend que la Suisse est tombée dans le chaos et que la petite société survivante s'est complètement dissoute dans la violence et la boucherie humaine, des personnes se traquant pour trouver des ressources et de la nourriture, peu importe d'où elles viennent, et ont commencé à se répandre en Autriche et dans le sud de l'Allemagne.
"Pas loin de là où on est parti", déclare Danemark à Pays-Bas. "Ils sont littéralement juste derrière nous."
Sealand essaie de ne pas écouter trop de détails de leurs conversations. Il a trop peur de ce qu'il pourrait apprendre, mais la curiosité a toujours été son point faible et, malgré tous ses efforts, il réussit toujours à garder une oreille attentive, apprenant des histoires terribles tous les soirs. Corps gorgés d'eau en Croatie. Cannibales en Hongrie. Apparemment, des bourbiers sans fin en Slovénie.
Silence complet en Belgique.
Il essaie de garder la tête dans les oreillers la troisième nuit après une histoire particulièrement sombre racontant que Danemark avait trouvé un bunker plein de corps gonflés à Naples. Ça lui rappelait la femme qui s'occupait de lui quand il s'est réveillé pour la première fois. Il ne veut connaître ni l'odeur ni le temps qu'il à fallu à Danemark pour les enterrer. C'est trop horrible, trop réel, et trop de choses à penser. Il se retourne et commence à se couvrir les oreilles, mais un seul mot dans leur douce conversation attire immédiatement son attention.
France.
"J'ai croisé France il y a quelques mois", lui dit Pays-Bas par-dessus le bord de sa tasse. "Il se dirigeait vers un refuge à Leipzig."
Les pieds de la chaise de Danemark tapent bruyamment sur le sol quand il se penche en avant pour rattraper son café. "Quoi? France? Il va bien?"
Pays-Bas hausse les épaules. "L'est vivant."
Danemark essuie la boisson renversée sur le devant de son manteau. "Comment il était? T'as pu lui parler?"
"Il n'a plus d'bras. Il a presque tout le bras gauche, mais l'droit est coupé à l'épaule." Il sirote son eau. "Il était avec Allemagne et Angleterre. Des civils de Buncha aussi."
Danemark se détend immédiatement. "Oh merde, quel soulagement. Est-ce qu'ils vont bien?"
"Allemagne va bien. Il a toujours son ballais dans l'cul, en tout cas. Angleterre n'parle pas beaucoup à cause d'la chaleur, mais c'est pas très étonnant."
"Chaleur? Qu'est-ce que tu veux dire?"
Pays-Bas lève un sourcil. "Tu sais qu'si jamais t'es dans un incendie, faut pas haleter?"
"Ouais?"
"Pareil pour la fin du monde."
"Oh."
Jan pose sa tasse vide et s'étire. "En tout cas, ils n'sont pas resté longtemps. Trop d'malades à traîner. Ils avaient au moins une douzaine de personnes avec eux."
"Ah. Est-ce que..." Danemark fait une pause et jette un coup d'œil à Peter qui feint encore de dormir. "Est-ce qu'ils cherchaient quelqu'un en particulier, par hasard?"
"Tu parles du gosse?"
"Il a un nom, tu sais"
Il lève les yeux au ciel. "Tu parles de Peter?"
"Ouais."
Le regard de Pays-Bas se tourne vers la forme allongée de Peter. "Les seules personnes sur lesquelles ils m'ont posé des questions étaient Prusse et Espagne."
"Ils n'ont même pas dit son nom?"
"Non."
Leur conversation se poursuit tard dans la nuit et ils sont complètement inconscients des larmes qui menacent de tomber sur le visage de Peter.
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Le matin du quatrième jour, Danemark est étonnamment perspicace et remarque à quel point Sealand a été calme toute la matinée. Il s'arrête de réparer une déchirure dans sa veste suffisamment longtemps pour s'asseoir devant lui, lui prenant les mains et le regardant avec inquiétude, le regard renfrogné lorsque Peter refuse de le regarder dans les yeux.
"Qu'est ce qui t'arrive?" Lui demande-t-il gentiment. "T'es bizarre aujourd'hui. C'est à cause de ta cheville?"
"Non." Il essaye de dégager ses mains de celles de Danemark, mais le Danois est têtu et garde ses doigts fermement enroulés autour des siens. "Je vais bien."
"Non, c'est pas vrai."
"SI c'est vrai."
"Non, c'est pas vrai."
Peter lui lance un regard noir. "T'as des arguments de gamin."
"C'est normal quand j'argumente avec un gamin."
"Je suis pas un gamin!"
Danemark soupire. "Alors arrête de faire bouder comme un gamin et dis-moi ce qui ne va pas. Je ne peux pas t'aider à te sentir mieux si je ne sais pas ce qui te tracasse."
Peter se mord la lèvre. "J'ai besoin de personne pour me sentir mieux."
"Peter..."
"Je t'ai entendu parler avec Pays-Bas d'Angleterre et de France hier soir", lâche-t-il. Il serre plus fort les mains de Danemark et fixe le sol, son visage dégageant une émotion trop triste pour être de la colère et trop persistante pour être de la gêne. "Je pensais juste..." il peut sentir la chaleur lui monter aux yeux. "Arthur n'est même pas à ma recherche."
L'expression de Danemark s'adoucit lorsque Peter renifle, indigné, et il tend la main pour le caresser doucement à l'arrière de la tête, posant sa main sur sa nuque et le prenant dans ses bras dès le premier signe de larmes. Il ne dit rien; il se contente juste de le prendre sur ses genoux et l'enveloppe dans ses bras, patient et calme, tandis que Sealand pleure contre son épaule, ses petites mains serrées sur le devant de sa chemise alors qu'il tremble pendant la crise contre laquelle il s'est battu toute la matinée. Il remarque de manière distante que les mains rugueuses de Danemark lui caressent les cheveux, mais ce n'est en rien réconfortant, car ça lui rappelle seulement qu'Angleterre n'avait jamais rien fait de tel quand Peter était contrarié. Il n'avait jamais détesté Angleterre - il lui en voulait juste de ne jamais l'avoir reconnu. Il ne s'est jamais plaint du manque de liens familiaux, car il n'a jamais voulu qu'Arthur soit son gardien, même au sens paternel. Cela ne le dérangeait pas qu'Arthur ne soit jamais vraiment là parce qu'il savait au moins que, à sa manière, il tenait assez à lui pour lui écrire de temps en temps, lui offrir un cadeau d'anniversaire ou faire une visite entre deux réunions.