3-T'attendre

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Lundi.

Deux jours. J'avais passé deux jours à ruminer ans ma chambre. J'avais tourné en rond pendant tout le week-end. Ça avait été insupportable. Ma jolie brune ne venait au Starbucks qu'en semaine, je n'avais donc aucune chance de la croiser lors d'un week-end. Et j'étais horriblement frustrée.

Raphaëlle m'avait tenue compagnie pendant que je me morfondais sur mon bureau. Elle m'avait aidée à garder le moral et avait lu le poème que j'avais soigneusement peaufiné pour mon inconnue pendant ces deux jours qui avaient résonné en moi comme une longue punition.

Ma journée de cours m'avait parue interminable. J'étais agitée et dissipée, si bien que je n'écoutais pas vraiment mes professeurs, même avec ceux que j'adorais habituellement. Mon professeur favori, monsieur Jefferson,l'avait d'ailleurs parfaitement relevé. Ce jeune brun blagueur aux lunettes de travers qui était un excellent professeur de langue,m'avait prise avec lui à la fin du cours pour prendre de mes nouvelles. Je passais souvent du temps avec lui dans la bibliothèque du campus. Nous pouvions passer des heures à parler de littérature du monde entier. Il s'appelait en vérité Thomas et était extrêmement cultivé. Il avait même déjà enseigné en Europe, en Amérique et en Asie malgré ses tout juste trente ans.

Je lui avais dit que j'étais simplement préoccupée et j'en avais profité pour lui faire lire mon poème, sans lui dire qui en était le destinataire. Il avait adoré.

J'avais ensuite couru jusqu'au métro pour me rendre au Starbucks de Cambridge, étant donné que ma discussion avec mon professeur m'avait sérieusement retardée.

Je suis finalement arrivée essoufflée devant le café. Je suis rentrée et ai été accueilli par une vague de chaleur. Les radiateurs tournaient à plein régime.

J'ai avancé jusqu'au comptoir et y ai trouvé la même serveuse que vendredi. Elle m'a adressée un grand sourire.

-Bonjour l'admiratrice secrète, m'a-t-elle lancée joyeusement. Quoi de neuf ?

-Que lui avez-vous dit quand elle est revenue, vendredi ?

-C'est pour ça que vous êtes partie si vite ? Vous avez cru que je vous avez dénoncé ?M'a-t-elle demandé, visiblement vexée.

-Et bien, un peu, ai-je avoué,gênée par son regard blessé. Ce n'est pas le cas ?

-Bien sûr que non !S'est-elle exclamée un peu trop fort. Je lui ai racontée des salades.

Plusieurs clients se sont retournés vers nous. Cette serveuse s'entendrait à merveille avec Raphaëlle. J'ai tout de même lâché un soupir soulagé.

-Merci, ai-je murmuré. J'ai de nouveau un service à vous demander...

Son visage s'est de nouveau illuminé. Elle aurait presque pu sautiller sur place.

-Un nouveau poème ?

-Oui.

-Je peux le lire ?

-Je... euh...

Elle n'a pas attendu ma réponse et a saisi le papier que je tenais dans ma main. Elle l'a déplié rapidement puis ses yeux ont parcouru la feuille avant de revenir sur moi. Ils brillaient légèrement.

-C'est beau, a-t-elle soufflé en glissant le papier dans sa poche. Elle en a de la chance, cette fille. Et vous avez un véritable don.

J'ai rougi du compliment et lui ai commandé mon habituel cappuccino. Elle me l'a offert pour l'avoir laissée lire mes mots. Je suis ensuite allée m'installer à une table en attendant mon inconnue. J'avais besoin de la voir un peu.

J'ai sorti mon carnet d'écriture et suis tombée sur le brouillon du poème que je lui avais écrit pendant le week-end, celui qui était dans la poche de la serveuse qui s'appelait Emma.

Avez-vous déjà ressenti ça ?

Cette impression d'avoir des ailes

De pouvoir planer en se fichant des aléas ?

C'est celle que je ressens quand vous êtes là,

Celle que j'imagine sentir lorsque mes pas

Me guiderons vers vous.

Je me fierais à mon audace,

Quand votre parfum d'acajou

Envahira tout mon espace

Quand vos lèvres si parfaites,

Me ferons céder à la tentation

Et que je serais insatisfaite

Si quiconque osait interrompre cet instant de libération.

LV

Alors que je parcourais mon écriture en patte de mouche des yeux, la porte d'entrée s'est ouverte sur elle. La voir m'a procurée une joie euphorique qui m'a faite paniquer. Jamais je ne m'étais sentie aussi heureuse. Elle était là, à quelques mètres de moi. Elle allait bien. Elle était si belle...

Ma jolie brune avait revêtu son long manteau noir. Pour une fois, ces cheveux étaient attachés en un chignon désordonné qui la rendait séduisante à un point inimaginable. Un crayon était planté dans sa chevelure et elle était simplement habillée d'un jean et d'un gros pull en laine grise. J'ai eu un pincement au cœur en voyant ses larges cernes sous ses si beaux yeux vairons. Elle semblait exténuée, mais même ainsi, elle était terriblement jolie. Ses écouteurs étaient enfoncés dans ses oreilles et quand elle a commandé, sa tête oscillait lentement au rythme de sa musique.

Emma lui a servie son café Mocha, puis a farfouillé dans sa poche. Elle en a extrait mon poème et l'a tendue à mon inconnue.

Brusquement, j'ai vu un sourire lumineux se former sur les lèvres de ma belle brune,découvrant ses dents parfaitement alignées. Elle s'est emparée du morceau de papier avec un certain empressement, puis elle a lu avec attention. La ride qu'elle avait au front lorsqu'elle se concentrait était adorable. Elle a souri doucement, secoué la tête, puis plongé mon mot dans sa poche. Désormais, elle semblait plus joyeuse. Et le fait de lui avoir redonnée le sourire m'a propulsée dans une autre dimension.

Puis elle s'est assise à une table, chose qu'elle n'avait encore jamais fait. J'étais surprise,je ne m'y attendais pas du tout. Elle a posé son café et a sorti une feuille. Elle a paru réfléchir quelques instants puis s'est mise à écrire, visiblement absorbée par son travail. Avec un magnifique sourire.

J'étais satisfaite. Je me suis levée et ai rangé mon carnet dans mon sac-à-dos. J'ai remis ma veste, mon écharpe, puis je me suis éclipsée du Starbucks avec un regard entendu échangé avec Emma.



Un café à CambridgeWhere stories live. Discover now