Atelier

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De fines mains, beiges de poussière, de jolis ongles courts mais soignés, s'animent. Elles parcourent les courbes de la statue, vérifiant chaque coup de ciseau, chaque creux, chaque détail.
Soufflant sèchement vers son front, l'artiste dégage une mèche qui lui coupait la vue. Elle tourne une fois, deux fois, vingt fois autour de son œuvre. Cet être sans vie semble peu à peu prendre consistance.
La tête lui arrive à l'épaule. Elle a passé des heures à creuser la commissure des lèvres, les naseaux si délicats. Elle pose son front contre le chanfrein de la bête, attrape de sa main gauche l'oreille droite et la gratte machinalement, avant de passer ses doigts dans le creux de la salière, au dessus de l'œil.
Un peu plus tard, elle termine le toupet, la crinière. Vérifie le garrot. Creuse encore les flancs là où le poitrail rejoint le corps.
Elle continue ensuite vers la croupe. Marque mieux certains muscles, en arrondit d'autres. Un coup d'œil sur la queue lui suffit, elle se met à genoux pour vérifier les longues jambes. Les sabots semblerait presque trop petits pour permettre à la créature de tenir sur sa main postérieure, ils sont pourtant strictement à l'échelle. Les canons sont longs, on devine les tendons, on imagine les veines.
Les jambes antérieures sont repliées sur elles-même, les pieds touchent presque le ventre.

Elle se recule un peu, une main toujours sur la création. Debout sur ses pattes arrières, l'encolure courbée comme pour un gracieux salut, la jument cabrée semble trembler dans la lumière vacillante de l'atelier.
L'artiste cisèle ici, ponce là.
Elle touche, caresse, devine de ses mains plus que du regard les imperfections.

Plusieurs heures encore plus tard, elle frôle une dernière fois, du bout des doigts, de haut en bas, sa statue terminée.
Elle repousse d'un souffle cette fois léger cette même mèche de cheveux, et quitte son antre, théâtre d'une naissance.

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