Chapitre 5 : Se dévoiler peu à peu

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Trois nuits s'étaient écoulées depuis notre arrivée sur le Passeur d'Aurore. Nous ne manquions de rien : Caspian et son équipage étaient vraiment au petit soin avec nous. Durant ces quelques jours, j'avais pu remarquer à quel point Lucie et Edmund étaient aimés des Narniens. Caspian passait tout son temps libre en notre compagnie, nous narrant tous les changements qu'il y avait eu depuis le précédent voyage de mes frères et sœurs. Nous allions très souvent sur la dunette du bateau tous les deux, bavardant de choses et d'autres, ou bien contemplant silencieusement la mer. Sa présence me réjouissait, et ses regards et ses gestes me prouvaient que ce sentiment était réciproque.

Ce matin-là, nous étions tous sur le pont principal. Lucie reprisait sa chemise afin de la mettre à sa taille ; Eustache était à ses côtés, il écrivait dans son carnet, son « journal intime », comme j'aimais si souvent lui dire, ce qui le mettait en rogne. Edmund discutait avec Ripitchip d'un certain Trompillon, si je me souviens bien il s'agissait du nain qui avait mené mes frères et sœurs auprès de Caspian. Le jeune Roi, quant à lui, était adossé au bastingage qui me faisait face et affûtait son épée. J'étais assise, la tête posée sur mes jambes qui étaient relevées, mais je pouvais sentir son regard se poser sur moi à plusieurs reprises. Je n'y portais pas vraiment attention, j'étais plus occupée à essayer de rattraper mes heures de sommeil perdues. En effet, j'avais passé une très mauvaise nuit : le bateau n'avait cessé de tanguer, ce qui m'avait valu d'être réveillée assez souvent. Après plusieurs minutes, je sentis quelqu'un s'asseoir à mes côtés. J'ouvris mes yeux et tournai doucement ma tête, croisant le regard charbonneux de Caspian.

_ T'ai-je réveillé ? me demanda-t-il.

_ Non, je me reposais juste un peu.

_ Mauvaise nuit ?

_ Oui, je ne suis pas habituée à dormir sur un bateau, ça bouge trop à mon goût.

Je remarquai de belles cernes violettes qui trônaient sous ses yeux, qui, soit dit en passant, n'enlevaient rien à leurs beautés.

_ Tu as l'air d'avoir mal dormi, toi aussi, soufflai-je. Nous aurions dû te laisser ton lit.

_ Oh ! Non, ce n'est pas le hamac, m'expliqua-t-il. Ce sont juste quelques cauchemars qui sont revenus me hanter. De vieux cauchemars que je préférerais oublier.

_ Encore un point en commun, lui souris-je.

Il me sourit à son tour.

Les cauchemars étaient devenus fréquents après mon agression. Tous les soirs, je revivais la scène précédant mon viol, la seule dont je me souvenais. Mais, depuis quelques semaines, ces cauchemars étaient plus espacés, moins violents. Je gardais l'espoir qu'un jour, ils disparaissent, me permettant de vivre normalement, sans peur et sans angoisse.

_ Tu... Tu veux en parler ? lui demandai-je.

_ Ce sont justes des bribes de mon enfance qui se mélangent. Le plus souvent, je me vois essayer d'être le fils parfait, d'être un Prince parfait, pour mon Père. Tu sais, il passait très peu de temps en ma compagnie, alors les quelques moments que je passais avec lui, il fallait que je sois le fils qu'il avait toujours désiré. Mais j'étais loin d'être un Prince parfait, soupira-t-il, et maintenant, je suis loin d'être un Roi parfait, comme l'était mon Père.

_ Je ne connaissais pas ton Père, Caspian, mais chaque être est différent : tu as des qualités et des défauts propres à toi-même. Tu ne peux pas ressembler à ton Père, avoir la même façon de gouverner que Lui, c'est impossible. Tu peux le prendre en exemple, mais tu ne seras jamais Lui !

_ Je sais, c'est bien pour cela que je doute de mes capacités à gouverner et ces doutes me suivent jusque dans mes rêves.

_ Les doutes permettent de se remettre en question, ce n'est pas une mauvaise chose. Ça nous permet de juger nos actes, qu'ils soient bons ou mauvais. Un royaume doit être difficile à gouverner, surtout si tu es seul, mais il faut que tu arrêtes de te prendre autant la tête. Aslan t'a donné toute sa confiance en tant que Roi de Narnia, c'est qu'il sait que tu en es capable.

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_ Fais-moi penser à te donner une place de Conseiller lorsque nous rentrerons à Cair Paravel, me sourit tendrement le jeune Roi.

_ Fais attention, je vais te prendre aux mots !

_ Tu peux, opina-t-il.

_ Laureen Pevensie, Conseillère Royale. Ça sonne bien ! rigolai-je.

Caspian acquiesça et me fit un magnifique sourire en coin.

_ Tu fais, toi aussi, des cauchemars ?

_ Oui, dis-je en fronçant les sourcils.

Je n'aimais pas parler de mon agression ; à chaque fois, les souvenirs affluaient, me nouant l'estomac. Caspian remarqua mon malaise. Il se rapprocha de moi, nos épaules se touchant, puis il prit ma main dans la sienne et entrelaça nos doigts. Je savais qu'il ne me ferait aucun mal, mais par habitude je me tendis, essayant de retirer ma main. En vain, le jeune Roi la tenait fermement comme s'il avait anticipé ma réaction. Je fermai les yeux et respirai profondément. Son contact et la douce chaleur qu'il dégageait m'apaisa assez rapidement.

_ Si tu ne veux pas m'en parler, je comprendrai, me dit-il doucement. Mais sache que si un jour tu as besoin de parler, je serai là pour toi. Je serai toujours là.

Mon cœur eut un raté. Sera-t-il encore là lorsqu'il saura la vérité ?

Je le regardai longuement tandis qu'il fixait la balustrade devant lui. Il se mit à me caresser tendrement le dos de ma main avec son pouce. Je détournai mon regard, le posant sur Lucie qui reprisait un pantalon à Edmund. Un long silence s'en suivit où je réfléchissais sur ce que je devais faire, sur ce que je devais dire.

_ Il y a un an, on m'a... on m'a agressé assez violemment, commençai-je avec difficulté.

Je sentis le regard de Caspian se poser sur moi, me serrant la main un peu plus fort.

_ J'en ai gardé de graves séquelles et chaque soir, depuis ce jour, je fais des cauchemars. Je ressens à chaque fois cette même violence et je revis à nouveau la douleur des coups.

Je baissai la tête, les larmes perlant au coin de mes yeux. Caspian relâcha ma main, posa la sienne en dessous de mon menton et me releva la tête, la tournant vers lui. De son autre main, il essuya les larmes qui s'étaient mises à couler le long de mes joues. Son regard empli de tendresse me donna le courage de continuer mon histoire.

_ Quand je me réveille, je suis terrorisée et complètement perdue. Et lorsque je comprends où je suis et que je suis en sécurité, l'horreur de la situation me frappe à nouveau et je me rends compte que j'ai tout perdu à cause de lui et qu'il a complètement détruit ma vie.

_ Ton ancien fiancé ? me demanda Caspian.

Surprise, je lui lançai un regard interrogateur.

_ Susan m'avait parlé de Lui à l'époque, m'expliqua-t-il. Et Edmund m'en a touché quelques mots lors de votre arrivée à Narnia.

Je baissai tristement mon regard, fixant sa tunique.

_ Je n'ai jamais raconté à qui que ce soit ce qu'il s'était passé ce jour-là. Et pour le moment, je ne m'en sens pas capable.

_ Je ne te demande rien, Laureen.

_ Je sais.

_ Mais je te l'ai dit, je serai toujours là.

Je hochai doucement la tête. Il me caressa tendrement la joue et déposa un baiser sur mon front. Il reprit ma main dans la sienne, nos épaules toujours collées l'une contre l'autre. Aucun de nous, ne parla, nous profitions seulement de la présence de l'autre. La fatigue reprenant le dessus, je posai ma tête sur son épaule et fermai les yeux, me laissant envahir par le sommeil. Avant de m'endormir, je sentis la tête de Caspian se poser sur la mienne.

Les larmes du passéWhere stories live. Discover now