Chapitre 24

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Le soir venu, Rivière et moi nous retrouvons enfin seules, comme nous l'étions auparavant. La différence, c'est que nous possédons désormais chacune notre propre boîte crânienne et notre libre arbitre.

‒ Comment as-tu vécu cette première journée ? je lui demande tandis que nous sommes allongées dans l'obscurité sur nos couchettes respectives, dans la pièce minuscule qui constitue notre chambre.

‒ Parfaitement bien, me répond Rivière.

Cette réponse est prononcée d'une voix faussement enjouée et j'ai l'impression que Rivière cherche à elle-même s'en persuader. Je sais bien qu'elle a sans doute beaucoup plus de choses que ça sur le cœur, des choses qu'elle a besoin d'exprimer à haute voix.

‒ Vraiment ? j'insiste.

Elle reste silencieuse quelques secondes.

‒ C'est juste que tout ça est si étrange, souffle-t-elle. Je peine à réaliser que je suis ici, parmi des humains. Personne n'a été méchant avec moi, mais j'ai l'impression d'être transparente. Les gens fuient mon regard. Je ne suis pas habituée à de telles attitudes. Je ne sais pas quoi ressentir...

‒ Il faut leur laisser du temps, Rivière, je relativise. Tu es encore l'ennemie pour eux, même s'ils ont d'ores et déjà accepté Gaby. Ils vont apprendre à te connaître et à te faire confiance avec le temps.

Je peux presque la voir acquiescer dans l'obscurité.

‒ Ce n'est pas tout, n'est-ce pas ? je poursuis, sachant pertinemment qu'il n'y a pas que cela qui la chiffonne.

Elle devine tout de suite à quoi je fais allusion.

‒ Même maintenant qu'on est séparées, tu parviens toujours à lire dans mes pensées, pas vrai ?

‒ Il semblerait, oui.

‒ C'est juste que... je suis vraiment contente pour toi, May. Tu as trouvé d'autres humains. Tu as retrouvé ton corps, ta vie. C'est tout ce dont je rêvais ! Je me demande seulement si ma place est réellement ici...

‒ Rivière...

‒ Je sais, je ne peux pas partir d'ici, s'empresse-t-elle de répliquer. Je suis obligée de rester, j'en ai conscience. Je ne sais juste pas si je trouverais ma place ici...

‒ Laisse un peu de temps passer. Gaby pensait également qu'elle n'aurait jamais sa place ici, regarde là maintenant.

‒ Tu as peut être raison.

‒ Tu sais, je suis tellement désolée que tu sois coincée ici. J'aurais voulu que tu retournes à ta vie avec Vogue, avec Mina...

Le prénom de Vogue provoque probablement des crampes d'estomac chez Rivière, mais le second prénom nous plonge également toutes les deux dans un état de profonde tristesse. Savoir Mina loin de nous, probablement dévastée par notre disparition, c'est plus que ce que nous pouvons toutes les deux supporter.

‒ Elle va nous chercher, elle va croire qu'on l'a abandonnée... murmure Rivière.

‒ Je ne crois pas qu'elle pense un instant qu'on l'a abandonnée volontairement, je réplique avec certitude. Elle sait trop combien tu l'aimes et combien j'aime ma Mina. Elle sait qu'on ne l'abandonnerait pas si on avait le choix.

Je soupire.

‒ Ils vont tous penser que tu as été enlevée par des humains, je poursuis. Ce qui est vrai, au final...

‒ Tu te rappelles quand j'ai émis l'idée qu'on recherche ces humains dont les traqueurs nous avaient parlé ? ajoute Rivière. Qui eut cru que ce serait eux qui nous auraient trouvés...

La fille et l'âme [Les Âmes Vagabondes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant