Chapitre 46

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Eimund m'invite à entrer en me réprimandant d'être sortie si peu vêtue dans mon état. Mais c'est justement pour connaître cet état que j'ai bravé le froid pour venir le voir.

_ Entre et installe toi. Je vais te préparer une infusion pour te réchauffer.

Je regarde Eimund s'affairer me demandant bien comment  aborder ce pourquoi j'étais là.

_Bien, me dit-il en me tendant la boisson chaude, je suppose que tu es là pour parler de tes malaises de ces derniers temps.

Je le regarde interdite. Moi qui ne savait pas comment démarrer la discussion et bien voilà chose faite.

_ Oui, lui répondis-je clairement après avoir bu une gorgée.

Eimund m'observe quelques instants avant de plonger son regard dans le mien.

_Tu es bien sûre que tu n'as pas la moindre idée de ce qu'il t'arrive Aslaug ? Vraiment ? Tu es une jeune femme intelligente ? Imagine qu'il s'agisse  d'une autre femme qui se présente à toi avec les mêmes symptômes. Que lui dirais-tu ?

Je le regarde interloquée puis réfléchis à ce qu'il vient de me dire. Ces derniers temps, j'étais facilement fatiguée, émotive. Les nausées s'alternaient avec des moments de fringales. Si une autre femme avait eu ces symptômes, ma première idée aurait été . . . non . . . ce n'est pas possible . . . je ne pouvais pas . . . je m'en serai rendue compte . . .

_ Ah voir l'expression que je lis sur ton visage mon enfant, tu as compris que tu es enceinte, me dit-il comme si tout cela était le plus normal au monde.

_ Mais . . . mais . . . je ne . . . je ne peux pas . . ., balbutiais-je, c'est impossible . . . par tous les dieux . . . je suis un monstre, terminais-je en pleurs.

_ Pourquoi dis-tu cela ? Attendre un enfant de l'homme qu'on aime de ne fait pas de toi un monstre, reprend-t-il avec douceur en prenant ma main dans la sienne.

Je mets quelques minutes à calmer mes sanglots. Si Eimund est si gentil avec moi c'est parce qu'il croit que c'est Ulrik le père de l'enfant et non Thorsten. C'est alors que je comprends que je suis la seule à ne pas avoir vu les choses. Les propos d'Ulrik et Ragna prennent alors tout leur sens. Ils voulaient me protéger de ce que pourrait penser ma famille, . . . mon père.

Mon dieu, mon père . . . comment pouvait réagir un père en apprenant que sa fille est tombée amoureuse de son frère et porte de surcroît l'enfant de ce dernier.

_ Eimund, . . . le père . . . le père . . . de l'enfant . . . ce . .. ce n'est pas . . ., n'arrivais-je pas à terminer.

_ Je sais. Ce n'est pas Ulrik mais Thorsten, termine-t-il comme si il annonçait la chose la plus normale au monde.

_ Mais . . . il est mon frère, repris-je en essayant de me calmer.

_ Il n'est pas ton frère de sang mais adoptif Aslaug. Et qui plus est vous n'avez pas été élevé ensemble.

À cette révélation, mes yeux s'écarquillent.

_ Comment cela mon frère adoptif ? Comment cela pas de lien du sang ? Demandais-je plus vivement que je ne l'aurais voulu en posant ma main libre sur mon ventre.

_ Tu ne connais pas l'histoire ? Me questionne-t-il surpris.

Je lui fais signe non de la tête alors qu'un flot d'émotions me submergent. Je voudrais courir voir Thorsten, lui poser mille questions. Pourquoi ne m'avait-il rien dit ? Pourquoi me repousser alors ? Tant de pourquoi se bousculent dans ma tête. Mais d'un autre côté, je veux connaître l'histoire.

Eimund observe patiemment les différentes réactions qui se lisent sur mon visage avant de reprendre. Il me conte l'histoire tragique de l'enfance de Thorsten. La terrible perte de ses parents. Comment Magnar et Vidrün l'avait recueilli et élevé comme leur propre fils.

Je suis à la fois triste pour ce qu'avait vécu Thorsten enfant et à la fois émue et fière de la réaction de mon père. Mais aussi de celle de Vidrün. Se pourrait-il que sous cette carapace de glace il y ait un cœur qui bat, un cœur capable d'aimer.

_ Voilà, tu connais toute l'histoire maintenant.

Bizarrement la question qui sort de ma bouche en premier n'est pas celle à laquelle je m'attendais.

_ Pourquoi ne participez-vous pas au banquet ?

Il soupire et reprend avec calme.

_ Je n'apprécie pas ce genre de manifestation et puis . . .

_ Et puis, repris-je.

_ Je suis un romantique, ce qui est rare pour un homme . . . mais pour moi les mariages doivent être des mariages d'amour et non arrangés pour telle ou telle raison. Alors non je ne serai présent ni à celui de Thorsten ni au tient qui ne sont pour moi que des simulacres de mariage.

_ Comment ? . . . Que voulez-vous dire ? Articulais-je péniblement toujours sous le coup de l'émotion de ce qu'il venait de m'annoncer.

_ Je ne suis pas dupe. Thorsten et Sigfrid ne s'aiment pas. Mais ils font ce que l'on attend d'eux. Et elle a une ambition débordante.Quant à Thorsten, il veut tellement faire plaisir à son père qu'il en perd tout jugement ou tout sens critique. Il  a accepté les avances de cette fille car son père permet d'avoir un passage sécurisé sur ses terres et mers quand le clan doit faire du commerce avec l'Armorique. Mais la marier pour cela, s'agace Eimund.

_ Peut être mais maintenant Sigfrid porte elle aussi son enfant.

_ Toi tu portes son enfant. Pour ce qui est de Sigfrid rien n'est moins sûr, lâche-t-il.

_ Pourquoi dites-vous cela ?

_ Dans un château, les secrets d'alcôves ne restent jamais très longtemps des secrets.

_ Oui mais cela reste des rumeurs, lui rétorquais-je. Je n'aime pas les ragots en tout genre. Et même si cela concerne Sigfrid, je ne veux pas savoir de quoi il en retourne. Mais Eimund en a visiblement décidé autrement. Il semble avoir besoin de se confier et de dire ce qu'il sait.

_ Ce ne sont pas que des rumeurs Aslaug. En tant que médecin du clan, tu te doutes bien que Vidrün m'a fait venir au chevet de Sigfrid quand cette dernière a eu les premiers symptômes. Je l'ai donc examinée. Pour moi Thorsten ne peut pas être le père puisqu'il n'était pas là et sa grossesse est moins avancée qu'elle ne le laisse entendre. Et si tu es un tant soit peu observatrice, tu verras qu'Audar est toujours très proche d'elle. Ils ont une liaison depuis des mois. Et personne n'est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Audar ne veut qu'une seule chose, tout ce que possède Thorsten car il aurait pu être l'héritier du clan si Magnar n'avait pas eu d'enfant.

_ Mais Thorsten doit être informé. Il ne peut pas l'épouser sans savoir, dis-je en me levant brusquement.

_ Il n'est pas idiot Aslaug, il doit déjà le savoir, commence-t-il.

_ Peut-être, mais moi je dois lui parler, je dois . . ., commençais-je en gagnant la porte.

Eimund ne me dit rien et me laisse partir. Je ne sais pas encore comment cela va se passer, ni même ce que j'attends de cette rencontre. Mais j'ai besoin de lui parler.

Étonnamment je me sens légère quand je regagne le château. Je n'étais pas le monstre que je pense être. Je suis tombée amoureuse d'un homme et pas de mon frère. Je porte l'enfant de l'homme que j'aime, me dis-je en posant délicatement ma main sur mon ventre.


J'aperçois enfin les lumières du château. Mais je suis tellement absorbée par mes pensées que je ne fais pas attention à la personne qui me suit tapis dans l'ombre. Et je n'ai pas le temps de réagir quand une main se pose sur ma bouche pour m'empêcher de crier avant de sentir une vive douleur à l'arrière du crâne puis le trou noir . . .  

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