Tapas et confidences

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Comme je m'y attendais Carla a sorti le grand jeu. Elle porte une micro robe blanche ne laissant aucune place à l'imagination et qui fait ressortir sa peau caramel. La mésaventure avec les pavés ne l'a pas empêché de chausser des talons vertigineux de la même couleur que sa robe. Je m'avance vers elle quand la réceptionniste me devance. Elle murmure quelque chose à l'oreille de ma copine de séjour dont le visage s'illumine immédiatement. Je me demande ce qu'elle a bien pu lui dire. Je profite d'être dissimulée par un ficus pour observer la réceptionniste qui regagne son poste. Elle affiche un air joyeux et amical, plaisantant avec les clients et rien dans son attitude ne colle avec ce que j'ai vu tout à l'heure. Je parviens à me convaincre que ce n'était rien d'autre que le fruit de mon imagination et sors de ma cachette improvisée.

En m'apercevant, Carla lève le bras faisant tinter la ribambelle de bracelets dorés qu'elle porte au poignet. Même si, en quittant ma chambre, je me trouvais pas trop mal comment dire qu'à ses côtés ce n'est plus le cas.

— Lucie, cette robe te va à merveille ! s'exclame Carla sincère en admirant le laçage. Elle fait ressortir le vert de tes yeux et s'accorde parfaitement avec tes cheveux. En parlant de tes cheveux, tu savais que dans la période médiévale on associait le roux à la sorcellerie.

— Oui je sais et si je te disais qu'en plus je suis gauchère et née le soir d'Halloween ?

Elle me regarde avec émerveillement :

— Mon Dieu, à toi toute seule tu cumules presque tous les signes.

— Presque ? m'étonné-je.

Nous sortons de l'hôtel et elle poursuit :

— Oui. Il te manque la marque. Celle que le diable est censé avoir posé sur ton corps. En général ça représente un animal.

— Une étoile ça marche ?

Elle s'arrête de marcher, son émerveillement à fait place à ce que je pourrais qualifier de... folie. Elle insiste pour que je lui montre la petite étoile brune que je dissimule généralement sous ma montre. Bien sûr je ne la dois pas au diable, mais plutôt à une éclaboussure d'huile bouillante d'après ce que m'avait raconté ma mère. Carla essaie de frotter mon poignet comme si elle voulait vérifier qu'elle était bien réelle. Puis elle plante son regard azur dans le mien :

— Je pourrais te prendre en photo pour mon mémoire ?

J'éclate de rire avant de comprendre qu'elle est sérieuse.

— Je croyais que le thème de ton mémoire était sur le lien entre le développement d'une ville et ses croyances ?

— Oui oui c'est vrai, mais là où il y a des vampires il y a des sorcières et tu pourrais illustrer cette partie-là. S'il te plait s'il te plait, dis oui !

Intriguée, je lui demande le lien entre les vampires et les sorcières. Elle se lance dans une grande explication mais la seule chose que je retiens c'est que les sorcières sont les ennemis des vampires depuis toujours, les seules aptes à fabriquer de quoi les tuer.

— Ah bon ? Il ne suffit pas d'un pied en bois dans le cœur ? m'étonné-je.

Elle secoue la tête en signe de négation.

— Non, il s'agit de croyances populaires pour faire croire aux gens que n'importe qui peut se défendre. Si tu prends la peine d'y réfléchir, un vampire est déjà mort, son cœur a cessé de battre alors tu peux lui planter n'importe quoi dedans ça servira à rien.

Je reste sceptique même si sa réponse est somme toute logique. Carla prend garde où elle met les pieds et poursuit son exposé.

— Selon les cultures les sorcières prépareraient une potion qu'il suffirait de jeter sur un vampire pour le réduire en cendres. Certainement que le mythe de l'eau bénite viendrait de là aussi.

J'essaie de garder mon sérieux car je comprends qu'elle y croit dur comme fer. Tandis qu'elle continue son discours, je ne l'écoute plus, bien trop occupée à admirer la mer. Nous venons d'arriver sur la promenade, bordée d'un côté par des plages de sable fin et de l'autre par des terrasses de restaurant prises d'assaut par les touristes. Nous marchons encore un peu avant d'arrêter notre choix sur une terrasse dont les cloisons sont des tentures de tissus blancs conférant au lieu un charme certain. Nous prenons place sur des banquettes face à la mer et à peine sommes-nous installées qu'un serveur se précipite vers nous (ou plutôt vers Carla) pour nous proposer de prendre un apéritif et nous présenter le menu. Nous optons pour un copieux plateau de tapas et deux cocktails. N'en pouvant plus de ses anecdotes de vampire, j'oriente la conversation sur un autre sujet :

— Au fait, elle te voulait quoi la réceptionniste tout à l'heure ?

Elle croque dans un accra de morue avant de me répondre :

— M'inviter à une soirée privée.

Je suis surprise, je m'attendais à tout sauf à ça. Je trempe des bâtonnets de carottes dans un excellent aïoli en contemplant la mer. Le bruit des vagues m'apaise, je suis bien ici, j'ai la sensation étrange d'être à ma place, comme si je n'étais jamais partie. Pourtant, les choses ont changé me semble-t-il. De mémoire il n'y avait pas autant de restaurant ou de boutiques attrape touriste mais peut être qu'à l'époque je n'y prêtais pas attention.

— Alors ça te dit ?

Il me faut quelques secondes pour comprendre que Carla me parle.

— Hein ?

Elle lève les yeux au ciel :

— Je te demandais si tu voulais m'y accompagner, à la soirée privée, ajoute-t-elle devant mon air perdu.

Un frisson me parcourt l'échine. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai le pressentiment que c'est une très mauvaise idée. Je décline poliment, prétextant être fatiguée par le vol et l'incite à rentrer avec moi à l'hôtel. Elle paraît hésiter mais son choix est fait, elle ira à cette soirée.

Je hausse les épaules, après tout qui suis-je pour l'empêcher d'aller s'amuser ? Le serveur revient vers nous pour nous débarrasser et nous apporter en suivant nos desserts : tarte tatin pour moi, tiramisu pour Carla. Nous dégustons nos douceurs en discutant. En fait j'écoute Carla me parler d'elle. Comme moi, elle a perdu ses parents très jeune mais elle en parle sans tristesse. Elle m'avoue avoir peu, voir pas, d'amis car on la trouve généralement superficielle et quand elle parle de ses études les gens la prenne carrément pour une cinglée. Ses confessions me touchent, avec mes crises de migraines qui me faisaient hurler de douleur en classe, j'ai aussi eu beaucoup de mal à nouer des amitiés. Finalement je découvre une fille qui est aussi seule que moi. Peut-être que c'est pour ça qu'elle est venue vers moi, ma solitude attirant la sienne comme un aimant.

Notre repas terminé, nous réglons la note. Je souhaite une bonne soirée à Carla avant de m'éloigner en direction de l'hôtel. Je fais quelques mètres puis je me retourne. Elle est là où je l'ai laissée, accoudée à la balustrade, ses cheveux bruns se soulevant légèrement selon la brise, mais ce qui me frappe le plus reste son regard empli de tristesse. Je soupire. Même si toutes les fibres de mon corps me crient de poursuivre mon chemin, je la rejoins.

— Je t'accompagne mais on n'y reste pas longtemps.

Elle sautille de joie et me serre contre elle, soulagée que je ne l'aie pas abandonnée.

— Merci Lucie ! Tu vas voir on va bien s'amuser.

La Potion OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant