Chapitre 3

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Après avoir imaginé le passage d'enfants imprudents, je me mis à penser aux voleurs de cuivre qui sévissent de plus en plus le long des voies de chemin de fer. Cachés par cette purée de pois, il pouvaient agir en toute impunité. Depuis plusieurs années, le vol de câbles est devenu si fréquent qu'ils sont devenus une des principales causes des retards des trains en Belgique. Racheté à 5€ le kilo par des ferrailleurs parfois peu scrupuleux, la tentation était grande. Que m'attendrait-il si je devais effectivement tomber sur deux types louches armés d'une cisaille aussi grosse d'un poing ? Je ne voulais pas le savoir.

Un autre scénario vint ensuite supplanter le premier, puis un deuxième, puis un troisième. Les voleurs devinrent une victime et son agresseur, le second cherchant à détrousser le premier qui n'avait trouver comme seule issue de venir se cacher dans le brouillard à côté de la gare. Mais pour quelle raison ? Ce n'était probablement pas la meilleure option, tant les dangers étaient présents, invisibles et imprévisibles à cause du brouillard.

Mon imagination aidant, les faits s'aggravèrent. J'assistais cette fois non pas à une agression, mais un viol ! La victime, à nouveau, avait eu la mauvaise idée de vouloir échapper à son violeur en prenant la fuite à travers le chantier désert longeant les voies de chemin de fer. Nul doute que le bruit de chute que j'avais entendu était le sac à main de la femme et qu'en ce moment même elle s'était fait arracher la moitié de ses vêtements ! La crapule qui la maintenait fermement au sol en l'empêchant de crier devait à présent tirer sa crampe sans aucune considération pour cette pauvre fille dont la seule erreur était d'avoir croisé son chemin. Un destin brisé, un de plus à cause de la bêtise humaine. Assouvir ses propres pulsions bestiales au détriment des autres. Quel ignominie !

J'aurais été capable de tuer de sang-froid si cette scène s'était matérialisée devant mes yeux, tant de tels actes me révoltent.

Mais le violeur était en fait un psychopathe récidiviste recherché par la moitié des polices européennes, soupçonné d'avoir violé en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie et en Espagne. Dans certains cas, il aurait même tué ! Mais aucune police jusqu'à présent n'était parvenue à le pincer. Il était maintenant là, à quelques mètres de moi sans doute, en train de semer la terreur impunément. Cette fille, la jolie blonde à qui tout était promis – succès, bonheur, épanouissement – celle-là même qui subissait des sévices indescriptibles pouvait alors s'estimer heureuse si elle était abandonnée vivante par son bourreau.

Et moi aussi, si je devais le croiser.

Je pouvais sans doute devenir son héros ? Mais je n'en avais pas l'étoffe.

Cependant, il n'y avait pas de psychopathe. Ni de fille violée à secourir. Je pensai alors à James Bond, pur produit issu de la Guerre Froide. Et d'une tour de passe-passe neuronal, je fis le lien entre ces histoires d'espionnage parfois rocambolesques que l'on lit dans les romans ou qui nous sont racontés à travers les films et une réalité bruxelloise, à avoir qu'il s'agit d'un des haut lieux mondiaux du lobbying et de l'espionnage. Aucune autre ville du monde entier ne peut se targuer de concentrer autant d'espions au kilomètre carré. Mossad, CIA, MI6, DGSE, SVR, GRU, Guoanbu, tous étaient présents et sévissaient autour du Berlaymont. Cette réalité souterraine m'ouvrait toutes les perspectives. J'étais mûr pour me laisser envahir par la paranoïa.

Un secret d'état convoité par des puissances subversives car donnant des pouvoirs inestimables était négocié entre plusieurs personnes représentant leurs organisations respectives, mais les services secrets d'un état soucieux de protéger la paix mondiale avait eu vent de cet échange. Un agent avait alors été dépêché à l'endroit prévu pour l'échange et avait pris l'acheteur en filature. Ce même acheteur s'était alors rendu compte qu'il était suivi et avait tenté d'échapper à son poursuivant en venant se cacher sur le chantier de la gare de Bruxelles-Schuman. L'agent l'avait finalement rattrapé – je les ai entendu passer en courant et j'ai entendu la valise métallique contenant le secret d'état tomber – et il n'avait pas eu d'autre choix que de supprimer l'acheteur. Il en savait trop pour qu'on le laisse vivant. L'espion avait éliminé l'acheteur en l'étranglant avec sa propre cravate. Pourvu que je ne rencontrais pas cet homme qui aurait eu droit de mort sur ma personne pour l'unique raison que je l'avais vu, même si je ne portais pas moi-même de cravate.

Tout cela n'était finalement que le fruit de mon imagination. Rien de tout cela n'était réel.

Et si ?

Après tout, les agressions n'ont rien d'exceptionnel dans une ville comme Bruxelles. C'est malheureux, mais c'est la réalité. Les viols, ça existe. Des psychopathes ; j'ai des amis qui travaillent dans un hôpital psychiatrique, ils les côtoient tous les jours. Certains sont soignés, mais d'autres courent les rues. Et des espions, ma foi, il suffit de consulter sur internet les archives déclassifiées de la CIA pour se rendre compte de l'ampleur des activités des services secrets mondiaux. Le meurtre ou l'assassinat pour raison d'état, ça n'existe pas que dans les films et les livres.

Mon esprit devint alors le théâtre d'une lutte acharnée entre ma raison et mon irrationalité, entre pure création spirituelle et dure expérience de la réalité. La probabilité d'être confronté à un fait digne d'un polar était pourtant extrêmement faible. Sans doute voulais-je inconsciemment avoir « la chance » de me retrouver face au canon d'un revolver chargé, comme certains d'entre nous qui ont pu se forger une personnalité admirée de tous parce qu'ils ont par exemple vécu les camps de concentration nazis ? Mais l'idée de me retrouver face à une arme sur le point de cracher sa balle d'acier me traumatisait d'avance.

Je me sentis soudainement devenir nerveux, tiraillé entre un ensemble d'options incompatibles, tout en étant incapable de trancher pour l'une ou pour l'autre. Le plus raisonnable était de retourner vers le quai, mais allais-je abandonner quelqu'un à un malheureux sort ? Si j'avais effectivement entendu des enfants passer en courant, je risquais au maximum quelques railleries sans conséquences si j'allais à leur recherche. Le doute m'assaillait, sans faire la moindre preuve de pitié à mon égard.

Je devais en avoir le cœur net. Je pris alors mon courage à deux mains ; sentiment de solitude d'une intensité que je n'avais jamais connu.

« Il y a quelqu'un ? »

Etmerde, je fais quoi, là ?

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⏰ Last updated: Nov 05, 2019 ⏰

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Dans la brume du quai n°2Where stories live. Discover now