Chapitre 4 - Ramon, Cyrus et les datacenters

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Deux personnes seulement étaient habilitées à pénétrer au siège de Braindata après la fermeture : Ramon Jacotte et Cyrus Marceau. Les deux patrons. Les deux cerveaux. Les deux dirigeants plénipotentiaires de la multinationale. Braindata et tous ses milliards. Milliards de dollars. Milliards d'euros. Mais aussi et surtout milliard de milliards de milliards d'octets. L'argent était secondaire, ce qui comptait c'était les données. Posséder les données, c'était disposer d'infinis moyens de les convertir en monnaie.

Jouer aux financiers avec des tonnes de fric ne présentait pas tellement d'intérêt. C'était commun, c'était laid. Jouer avec les monceaux d'informations échangés par la moitié de la population terrestre — celle ayant accès à l'électricité — ça c'était rigolo, ça c'était novateur. C'était effrayant aussi. Braindata c'était l'empire de la donnée. Un empire patiemment construit. Un empire qui pouvait lire la quasi-totalité de l'intimité numérisée de tous les accros au web. Messageries. Favoris Internet. Historiques de navigation. Carnets d'adresses. Photos. Vidéos. Toutes les merdes qui s'entassaient sur les supports numériques individuels. Tout ça donnait pas mal d'idées, et si l'envie vous en prenait il y avait moyen de créer de sacrées saloperies.

Braindata marchait du tonnerre de Dieu. Le business model était d'une simplicité biblique. Braindata était leader mondial dans le domaine du stockage physique des données. Braindata était majoritaire dans tous les conseils d'administration de tous les plus gros datacenter de la planète.

Datacenter c'était un mot ronflant pour masquer une réalité franchement crado du point de vue écologique. On construisait des hangars immenses tracés à la règle et à l'équerre, des mochetés géantes et parallélépipédiques. À l'intérieur, sur des centaines de mètres, on y alignait des rangées d'armoires bourrées de disques durs et de serveurs. Ils fleurissaient dans les coins déserts, on les nourrissait à coup de mégatonnes d'électricité. La concentration des ordinateurs engendrait une chaleur volcanique. Il fallait vaporiser un ou deux fleuves à l'année pour les refroidir.

Récemment, de jeunes connards d'école d'ingénieurs lobotomisés par de jeunes salopards d'école de commerce eux-mêmes encouragés par les vieux débris des sommets de la pyramide capitalistique avaient eu ce qui s'annonçait comme l'idée du siècle. Installer les bâtisses des nouveaux datacenter dans les pays du Grand Nord. Le refroidissement y coûterait moins cher. Brancher des radiateurs géants près de la banquise, l'inspiration était brillante. La famille de petit ours blanc allait devoir dégager. On avait besoin d'espace disque pour les posts Instagram du dernier blaireau connecté. Celui-ci n'appartenant malheureusement pas à une espèce en voie de disparition.

Tout ce micmac répugnant était passé sous silence. Les avocats d'affaires avaient bien travaillé. Ils avaient appliqué leur code de déontologie à la lettre. D'abord on plombe la structure, on la complexifie à outrance. Ensuite on multiplie les niveaux de sous-traitance, et les intermédiaires. On s'assure que plus personne n'y comprend rien. Puis on se présente en sauveur en acceptant le rôle de conseiller. Des conseils facturés honteusement cher bien évidemment. Ramon et Cyrus s'étaient fait une raison. Il était impossible de tout surveiller. La grosse entreprise charriait son lot de parasite, c'était dans l'ordre des choses économiques. L'avocat d'affaires était le représentant le plus coûteux de toute l'histoire des nuisibles.

Ramon Jacotte, empereur des gilets jaunes. Episode I.Onde as histórias ganham vida. Descobre agora