Si je n'avais pas été si pudique je l'aurais suppliée de m'aimer, j'aurais même pu lui dire ces petites choses qu'ils se disent tous ; la complimenter et la regarder fixement avec un sourire maniéré pour qu'elle me dise « arrête tu me stresses » et que je lui réponde que je ne peux pas, qu'elle est si belle, que c'est de sa faute si mes yeux sont scotchés à son épiderme. À la place j'ai dis « Ouais. »
Je ne parlais pas l'amour, ne pouvais même pas l'offrir, mais elle n'était capable que d'entendre ou de recevoir. Elle ne sentais pas mes doigts timides sur les siens, jusqu'au bout des ongles ils transpiraient l'adoration. Elle ne remarquait pas que je maigrissais au fur et à mesure de nos rendez-vous car j'économisais pour suffire à ses désirs. Elle n'appréciait pas les efforts précédant nos rencontres ; du trottoir sur lequel on allait marcher à la possible connexion défaillante qui polluait le film, tout était pré-corrigé.
Ça ne l'intéressait pas. Elle voulait des roses, des je t'aime et des selfies à exposer sur Instagram.
« C'est tout ce que t'as à dire ? Ouais ?
- Ouais.
- Je te dis que c'est fini et c'est ça que tu réponds ? T'es pas sérieux là...
- Tu veux que je te dise quoi ?
- Donc là j'me casse ça te fait ni chaud ni froid ? Tu t'en bats les couilles ? J'ai gardé le silence. En fait tu m'aimes pas, s'est-elle ébahie en hochant doucement la tête comme si elle avait compris quelque chose. Je le savais... Pas grave, on m'avait prévenu : tu me mérites pas. J'me casse de ton appart' crade. Ciao. »
Elle a mis sa veste et est sortie.
J'ai pris une cigarette et ai tâté mes poches pour trouver un briquet. Peine perdue : il était dans son sac. Je l'avais glissé en arrivant car elle me confiait ne pas en avoir chez elle pour fumer en cachette. J'ai cru qu'elle penserait à moi ce soir, accoudé à sa fenêtre, son sourire comme un croissant de lune. Je suis allé à la cuisine et j'ai allumé la gazinière d'où sont sorties des flammes aussi bleues que sa couleur préférée, parce que le bleu c'est pas que pour les mecs qu'elle disait, fière de son côté ado' rebelle dépassée. J'ai pris une grande inspiration, une deuxième et ai cendré dans la bougie à la vanille. La cigarette pincée entre mes deux lèvres, les mains libres pour ranger les friandises que mes frères se feraient un plaisir de manger.
J'ai ouvert le pack de briquet coincé entre les pâtes et sa sauce pesto préférée et j'en ai glissé un dans ma poche. J'ai enlevé le plaid qui cachait les trous de boulette sur le canapé et je me suis affalé. La carte de sport périmée sur la table ne me servait même plus à faire semblant alors je l'ai jeté dans un coin, là-bas. J'ai cendré dans le bol de pop-corns salés parce que je ne les mangerais pas, atrocement acquitté du rassurant « Non tu n'as pas tout mangé, c'est moi. Je vais grossir à ta place, t'inquiètes. ». J'ai mis le plaid sur mes épaules, ai poussé ma tête en arrière et ai fumé sans les mains. La cendre montait, ou le point incandescent descendait, et je savais qu'il tomberait, à la moindre erreur. Et voilà qu'on s'est cassé la gueule.
Grand rien, petit tout. Grand tout, petit rien.
YOU ARE READING
Grand rien & Petit tout
Short StoryQuand la nuit est tombée mais que mes paupières tiennent, je vois les projecteurs stellaires briller, la scène numérique s'éclairer et c'est mon solo de piano que je joue à coup de lettres. Petites phrases, grandes histoires, à vous simplement d'en...