L'insouciance

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Ce matin nous sommes le 22 septembre 1972. C'est mon anniversaire. J'ai vingt ans. 20 ans. Assise sur mon lit, les yeux dans le vide. Je devrais être heureuse ce matin, sauter de joie, crouler sous les appels, sous les lettres. Entendre bon anniversaire, voir quinze lettres écrites à l'encre noire. Rien. Le néant, pas l'ombre d'un bruit, pas l'ombre d'un être pensant à moi. Mon âme se meurt alors, mon cœur ralenti. Ma tête bourdonne, mon corps frissonne. Je me mets à penser. Cet enfant il y a 16 ans, avait quatre ans...

Seize ans plus tôt...

22 septembre 1956.Dix heures.

-Maman ! Maaaaman ! J'ai quatre ans, je suis une grande fille !

-Jeanne... Mais il est dix heures ! Allez, va ouvrir ton cadeau ma princesse !

-Ouiiii !!!!

Analepse dans ma tête. Les larmes montent. Je me souviens de mon sourire, je me souviens de ma voix, je me souviens de cette enfant, si souriante, si pleine de vie, je me souviens de, je me souviens de...

Je me lève machinalement jusqu'à la cuisine. Cet endroit où n'importe quelle personne s'y sent si bien. Je déteste cet endroit. Trop de nourriture malgré les placards vides. Trop d'odeurs malgré le feu éteint. Je prends un café. Repars.

-Papaaa ! Regarde ma poupée, elle est belle hein ?!

-Bon anniversaire ma puce ! Oui elle est magnifique. Viens voir dans la cuisine, maman t'a fait un gros gâteau.

Je me torture à repenser au passé. Pourquoi je me fais du mal comme cela ? Est-ce que cela me manque ? Est-ce que j'aime souffrir ? Est-ce que je fais cela dans le but de me sentir moins seule ? Dans le but de réchauffer ce cœur glacé depuis si longtemps ? Stop. J'en ai marre de penser, de réfléchir. J'ai mal au crane. Je finis ma tasse de café. J'ai trop pleuré, j'ai trop rêvé. Je ne me sens pas heureuse non, oui je suis malheureuse.

L'être humain est dur à comprendre. Une simple notice ne suffit pas à expliquer la vie .Comme pour appuyer sur ma solitude, ma plaie ouverte, sur mon passé douloureux, je me dirige vers mes albums photos. Ceux de 1956. Année où j'allais bien, enfin je ne me posais pas la question, je vivais c'est tout. Des sourires, figés dans le temps, comme pour me lancer à la figure que maintenant mes sourires altèrent le faux. Aucune photo ne ressemble à aujourd'hui ; pour moi jamais je ne serai malheureuse. J'aime papa, j'aime maman, j'aime ma poupée. Mon monde est rose, ma vie est belle. Un papillon, une licorne, une princesse. Cliché mais réalité.

Je décide tout de même de sortir de mon appartement. La musique dans les oreilles, le vide dans les yeux. J'ai pris cette habitude de compter les marches... Un... Deux... Dix.. Vingt-cinq.. Cinquante. Liberté de descendre, de courir, sauter, marcher, respirer. Mais peur, peur de ne pas savoir où est la limite. Dans un appartement les murs.

Dans la rue les gens sont pressés. Que vont-ils penser de moi ? Je baisse les yeux lorsque je marche. Je ne suis pas de ces gens sûrs d'eux qui avec leur air arrogant me dévisagent, moi petite avec mes cheveux longs cachant mes petits yeux verts noircis par les insomnies et le mascara. Mes mains rougies par le sang, le froid, la colère. Le visage pale reflétant ma vie. J'ai honte de moi.

-Maman je veux faire comme toi, je veux mettre du noir sur mes yeux, tu es belle maman.

-Owh, merci ma puce, tiens un petit peu de mascara ! Tu es ma princesse, tu es aussi belle que ta maman hihi !

-Merci maman que j'aime grand comme ça !

Grand comme ça.. Comme la largeur de mes bras étant petite. Un mètre peut être. C'était si grand pour moi. J'avais l'impression que cela lui prouvait tout mon amour. Mais je n'avais rien à lui prouver, j'étais sa fille. Elle m'aimait, je l'aimais.

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⏰ Last updated: Apr 06, 2020 ⏰

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