Chapitre 7

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Il ne transpira rien de cette altercation lorsqu'ils descendirent avec ses affaires et qu'il la raccompagna à son hôtel. Il avait nettoyé le sang sur son propre visage et lui avait dit de mettre des vêtements bien couvrants. Il avait souri tout le long du trajet, et agi comme un parfait gentleman dans le hall de l'hôtel où elle fit semblant de revenir d'un séjour agréable, et s'efforça de ne croiser aucun regard.

Ses épaules, ses bras et ses poignets lui faisaient mal. Elle se demanda pourquoi il pouvait monter dans les étages du love-hotel, mais pas dans ceux de cet hôtel-là. Peut-être une question de standing. Ou bien une question de territoire ? Elle ne pouvait plus feindre d'ignorer cet aspect. Elle ne pouvait pas non plus se cacher l'excitation qu'elle avait ressentie quand il lui avait dit qu'elle était belle, et quand son corps s'était retrouvé sous le sien. Cela l'énervait d'avoir été corrigée, et cela l'enchantait aussi d'avoir été regardée. Elle se sentait si mal à l'aise, comme après un moment de perversion.

Il lui avait conseillé de vivre normalement, de faire honneur à cette hospitalité, alors elle s'exécuta docilement. Par défi, elle s'interdit de cacher ses yeux et assuma du mieux qu'elle put sa relation supposée avec la pègre. Sly l'appelait tous les matins pour s'enquérir de sa santé et de son moral. Parfois, elle entendait Takuya chahuter en fond sonore. Une fois, il tint même à la saluer. Il ne fit aucun commentaire sur sa mésaventure avec Sly, et elle lui en sut gré. Peut-être aussi n'était-il pas au courant. Cependant, les journées étaient longues ; dormir, regarder des films et solliciter le room service ne suffisaient pas à les remplir. Elle fit quelques sorties, et l'hypothèse d'être surveillée et suivie lui parut d'autant plus probable qu'elle reconnut un jour dans une voiture à l'entrée de l'hôtel les deux gardes qui accompagnaient Takuya au club où ils s'étaient rencontrés. Elle fit semblant de ne pas les reconnaître, mais ils la saluèrent poliment.

Toutefois, ce n'était pas encore le plus terrible : elle avait de loin dépassé sa période de congés, et sa situation professionnelle virait désormais à la catastrophe. S'ils avaient accepté l'accident, elle ne pouvait justifier la semaine supplémentaire de congés. Parler de yakuzas et d'honneur était inutile. Elle allait perdre son job incessamment. Elle allait perdre son sponsor à la fin de la semaine. Elle avait déjà perdu le contrôle de sa vie. Tout ça pour une histoire d'honneur, et de personnes qui n'avaient rien à voir avec elle pour commencer.

Alors le dernier jour, quand Sly appela, elle lui demanda de prendre ses responsabilités. Il l'écouta jusqu'au bout sans l'interrompre.

- Je te rappellerai ce soir, annonça-t-il, et il raccrocha.

Elle avait vidé son sac, elle respirait mieux, certes, mais sa situation n'avait pas progressé. Alors pour cette dernière journée, elle décida de se faire plaisir. Elle fit un peu de shopping, puis le soir elle se rendit dans un quartier animé et réserva une salle de karaoké avec un chanteur, le plus mignon de la brochette que l'établissement proposait. Elle finit rapidement une bouteille de champagne et se détendit suffisamment pour chanter et danser sans complexe sur de la musique joyeuse. L'abandon qu'elle ressentait lui faisait du bien, et l'escort-boy était assez professionnel. La conversation tourna rapidement à la drague et au flirt, et elle lui fit des avances auxquelles il répondit poliment. Le personnel de service allait et venait dans la salle pour livrer les boissons et les accompagnements qu'elle demandait.

Elle était assise sur ses genoux et tenait son visage dans ses mains quand Sly et Takuya entrèrent. Lorsqu'il les vit, l'escort-boy qui jusque-là n'avait pas été avare de caresses et de mots doux, leva les mains en panique et tourna la tête pour éviter son regard. A la vue de la scène, Takuya ressortit aussitôt ; Sly poussa un long soupir en secouant la tête.

- Sors de là avant qu'il revienne si tu ne veux pas mourir, ordonna-t-il au jeune homme.

Il ne se serait pas débarrassé plus vite d'un sac d'ordures posé sur ses genoux. Sly vint s'asseoir à côté d'elle pour qu'elle puisse s'appuyer, hilare, sur son épaule.

- Dure journée ? demanda-t-il en croquant un amuse-gueule servi sur la table.

Son épaule était réconfortante, elle s'y accrocha et laissa errer ses mains sur les boutons de sa chemise. Il rigola doucement en repoussant ses doigts importuns. Takuya reparut dans le cadre de la porte avec, entre les mains, un épais cordon de délimitation rouge à boucles en métal doré. Il semblait prêt à étrangler quelqu'un.

- Il est où ? demanda-t-il en fouillant la salle du regard, furieux.

Sly rigola encore, sans répondre, et elle rebondit contre son épaule à chaque soubresaut.

- J'ai envie de dormir, murmura-t-elle.

Sly l'entoura de ses bras, et se mit à lui chanter une berceuse.

- Avec toi.

Elle pouffa de rire et chercha à l'embrasser, mais il la repoussa d'un doigt sur son front.

- Cela n'arrivera jamais, dit-il doucement, nous te l'avons déjà dit. Je pense que tu n'as pas encore compris pourquoi, sinon nous ne t'aurions pas trouvée ici, dans cette situation...

Elle secoua la tête. Alors il désigna Takuya, qui les rejoignait en se défoulant sur le mobilier.

- Tu vois, cette nuit-là, c'est avec lui que tu as dansé en premier. Après ça, tu es devenue taboue pour tous les hommes qui respectent qui il est, et ce qu'il représente.

Incrédule, elle le fixa un moment, s'attendant à ce qu'il avoue lui faire une mauvaise plaisanterie. Comme cela ne venait pas, elle se tourna vers Takuya qui s'était arrêté debout près d'eux, l'air toujours en colère.

- Quoi, tu veux ma photo ? demanda-t-il. Tout cela aurait été réglé si tu n'avais pas fait toute une histoire au départ. Tu serais retournée chez toi il y a longtemps, et je t'aurais sans doute oubliée, déjà.

Il laissa tomber le cordon négligemment et s'affala à l'opposé d'eux en soupirant.

- Il a fallu que tu me résistes, que tu me blesses, que tu vives sous mon toit, que tu séduises mon frère et que tu cherches à me fuir, continua-t-il, les yeux au plafond. Tu ne peux pas me reprocher d'être curieux, maintenant.

Puis il jeta un long regard à Sly:

- Tu pourrais t'asseoir nue sur ses genoux qu'il ne se passerait rien tant qu'il sait que tu m'intéresses, ajouta-t-il. Même marié à Miss Japon, avec quatre enfants et une maîtresse, je resterai encore la seule option pour toi dans les environs.

Ensuite, il tourna son regard vers elle et conclut, avec un clin d'œil provocateur :

- Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer. Je suis un gentleman.

Sly la retint dès qu'il sentit son corps se contracter pour bondir, et à nouveau il la maîtrisa facilement. En revanche, il ne riait plus.

La Fleur et le YakuzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant