C’est définitivement un cours de merde.
Je scrute avec dépit l’homme qui s’emporte, bras vers ciel, dans un discours étoffé un brin harassant. Je me réjouis de ma place lorsque son poing rencontre la table du premier rang, réveillant par la même occasion la rangée dans un sursaut général. Un sourire m’échappe malgré moi, la jeune blonde à deux place de l’assaut semble durement émerger, cherchant désespérément ses repères parmi les étudiants hilares.
- « un peu de tenue, Barbie! »
Les fous rires fusent de plus belle et la dénommée « Barbie » se redresse aussitôt, fusillant du regard sa voisine, une petite brune pâlotte. Elle hausse des épaules et se détourne, apparemment ravie de la tournure des événements.
Je reprends mon stylo en bouche, presque compatissante.
La torture reprend aussitôt. Coincé dans un costume démodé aux fines rayures, Jackson Raynold s’époumone et même coincée dans les dernières rangées entre deux groupes bavards, je parviens à distinguer l’étendue de postillons qui s’élancent fièrement dans les airs, retombant mollement sur le sol sombres de l’amphithéâtre. Cheveux grisonnant plaqués sur un tête au contenu désorientant, de petits yeux terrifiant lorsqu’ils daignent se déposer sur vous, et le summum, de fines lèvres quasi inexistantes mais pourtant débordantes d’anecdotes inutiles à mes oreilles déjà bourdonnantes.
Je mesure la durée de vie annoncée critique de mon stylo lorsque la porte arrière s’ouvre soudainement à quelques mètres de ma place. Invisible à la vue de monsieur Raynold par un pan de mur bardé d’un plan de sécurité, une courte jupe à godets aux teintes pastels me nargue, suivie d’interminables jambes au galbe atteignant la perfection.
- « En voilà une qui doit être contente » ce murmure donne un immense sourire conquis à la propriétaire de ces gambettes. Elle se rue, silencieuse, dans ma rangée au côté de deux filles ayant repris vie à son apparition.
Elle est simplement divine.
Son sourire illumine un minois aux pommettes saillantes et ses yeux manquent de me liquéfier sur place. Un bleu pur et vif, attentif au regard de notre orateur, en trans dans son monologue. Elle se déplace avec grâce, faisant voltiger les pans de sa jupe jusqu’à sa chaise.
- « Alors, tu l’as vu? »
La blondeur de sa chevelure s’accorde à merveille au hâle de sa peau et d’un hochement de tête mesurée, elle créait atours d’elle une sorte de petit attroupement euphorique. Sans comprendre, je m’aventure à l’écoute de cette discussion bondée d’oestrogène.
- « Allez Giulia, craches le morceau »
- « J’étais chez lui, en fait.. » ses joues rougissent légèrement au rythme des légers cris mesurés émit par ses deux acolytes.
Coudes posées contre les tables vieillies de l’amphithéâtre, ses mains fines se rejoignent et son sourire me semble soudain terriblement faux. Sa lèvre inférieure tressaille légèrement, assez pour m’intriguer.
- « Il est comme on le dit ? » s’amuse l’une des jalouses, fixant son amie avec envie.
Elle hésite, un sourire forcé toujours ancré a ses lèvres joliment colorées. Je guette son visage, absorbée par son jeu de scène parfaitement exécuté. Elle est très douée, une actrice hors pair qui se recroqueville sur sa chaise, comme intimidée face aux questions intimes. Je lâche définitivement mon attention de notre conférencier lorsqu’elle répond un vague:
- « La rumeur est loin d’être fausse »
L’une glousse, l’autre ricane grassement, le trio parfait.
La grande blonde se dandine nerveusement sur son siège, balançant involontairement les pans de sa jupe sous les regards de quelques chanceux au dessus de nous. Ils suivent les courbes de ses cuisses, un filet de bave presque visible au coin de leur lèvres.
- « Tu as tellement de chance.. »
Ce même sourire factice se répand sur ses traits fins et lorsqu’elle relève ses yeux en amandes, ils se dirigent droit sur moi.
Merde
Ses sourcils se froncent un quart de seconde, me fixant sans ciller de ces pupilles renversantes. Je soutiens son regard, mâchonnant l’air de rien mon bout de stylo, coudes sur la table.
Giulia Douglas est une sorte de mythe. Chacun rêvant de l’approcher de près sans réellement y parvenir. Elle fait partie de La Bande, après tout.
C’est la seconde chose qui m’a frapper à mon arrivée au Michigan Institute. La première fut la décoration ostentatoire et pleinement ridicule de notre cadre scolaire, affichant à qui veut le reflet écoeurant de parents blindés. Un lot de bibelots arpentant fièrement d’immense couloirs sombres et peu chaleureux, un étalage de cadres excessifs sur des pans de murs entiers, et j’en passe. Ensuite, en deuxième position, ce fut donc ce mot, employé à toutes les sauces dans cette faculté: La Bande.
Caractérisé pour ma part en tant qu’attroupement de jeunes premiers, abrutis se croyant supérieur par leur fière allure ou encore leur portefeuille trop bien fournis, il représente une petite minorité d’étudiants de différentes années, nommée par les rumeurs en majorité.
Une dizaine, dont fait partie cette grande blonde emplie d’assurance, qui me détaille maintenant des pieds à la tête.
- « C’était le pied d’enfer »
Elle prononce ces paroles tout en rivant ses yeux au miens, cherchant une quelconque défaillance. Je ne perds pas pied face à sa moue moqueuse et particulièrement supérieure, encore moins lorsque ses acolytes raillent, cherchant l’intérêt porté en ma direction.
Redoublement de rires, toute fois inaudibles à monsieur Raynold, qui entame le grand final de son cours.
Ses yeux bleus se plissent, ses lèvres se retroussent et un rire cristallin me fait aussitôt perdre notre duel silencieux. Je cille à plusieurs reprises, cherchant contenance au bout de mon stylo, que je fixe tout en manquant de crier.
Un long filet sombre se repent lentement le long de mon poignet, mes doigts me rappellent inexorablement Avatar et lorsque j’imagine la place de ce stylo avant la fameuse découverte, je masque aussitôt mes lèvres de ma main libre, cherchant vainement un moyen de paraître moins ridicule.
La rousse et amie de Giulia murmure quelque chose, l’autre manque de s’étouffer, pliée en deux contre la table. L’envie de lui enfoncer le stylo dans la gorge me tente un vague instant, estompée par d’autres rires plus graves venant des gradins voisins.
merde merde merde
- « Charmant.. »
Les rires redoublent au rythme de mon avancée honteuse dans ma rangée. Je manque de trébucher à plusieurs reprises et lorsque la porte m’apparaît comme par magie, je m’engouffre aussitôt vers elle, poussant de toute ma force et ma colère naissante le battant.
La couloir vide me rassure à peine, rempli d’un nombre incalculable de rangées de casiers, disposés tout le long des deux murs et uniquement séparés par d’immenses fenêtres ou piliers imposants.