Chapitre 6

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Malgré tous mes efforts, le petit déjeuner se déroule dans une ambiance morose. Mes enfants peinent à sourire et mangent du bout des lèvres un morceau de tartine. Au moment de débarrasser, je constate qu'ils n'ont pas plus bu leur chocolat. Jeanne se blottit longtemps dans mes bras avant de partir d'un pas lourd vers le collège. Je ne l'ai même pas vue pianoter sur son téléphone ce matin. Pourtant, en parler avec des amies pourrait l'aider à digérer. J'imagine qu'elle doit déjà avaler la nouvelle avant de pouvoir en discuter. Puis, je me souviens qu'elle avait eu des difficultés la veille à lâcher son portable. Elle a donc déjà dû informer une grande partie de ses plus proches copines. Les ragots ne tarderont pas à se répandre dans les différents coins du village. Encore une fois je ne peux m'empêcher d'être soulagée à l'idée que Paul endosse les racontars. Lorsque mon tour viendra, s'il vient un jour, chacun pensera que c'est bien normal : Après tout, son ex a refait sa vie depuis longtemps déjà. Elle mérite bien d'être heureuse à présent.

Pour la première fois depuis des mois, je dépose moi-même Léo à l'école, ne laissant plus un autre s'en charger. Après tout, je n'ai plus à redouter d'apercevoir Manuel en passant devant la boucherie, bien au contraire... j'en ressens une envie furieuse, impérieuse mais malsaine si l'on sait que toute relation entre nous est vouée à un échec programmé par son ex-femme. Pourtant, aujourd'hui l'envie est plus forte que tout et surtout, mon fils a besoin de moi. J'embrasse Léo devant le portail de l'école, longuement puis, l'observe rejoindre ses amis sans entrain. Ne réussissant pas à me résoudre à rentrer sans m'assurer que mon fils va bien, je m'attarde, le regardant discuter dans la cour de l'école le visage trop sérieux. Pourtant, très vite, je le vois prendre part aux jeux de ses amis. Rassurée, je prends tout mon temps pour regagner ma voiture garée à proximité de la boucherie. Il n'y a pas de lumière dans le bureau de Manuel. Heureusement, je crois que je ne résisterais pas à la tentation d'aller frapper à sa porte. Finalement, je décide de rentrer avec pour programme d'étudier toutes les possibilités pour pouvoir partir en vacances.

Je m'installe sur le divan, l'ordinateur posé sur les genoux, un café fumant à portée de main, bien décidée à visiter les sites de covoiturage. Pour une première, je vais frapper fort, huit à dix heures dans une voiture avec un inconnu, ou pire, devoir changer de chauffeur plusieurs fois ! L'idée a de quoi me refroidir. Je n'imagine même pas comment je vais pouvoir survivre moralement à ça. Je ne sais jamais quoi raconter aux inconnus et je ne peux décemment pas rester muette et encore moins dormir durant tout le trajet. Je devrais peut-être constituer une liste de sujets à aborder : le printemps trop pluvieux cette année, ou encore la dernière frasque de telle personnalité mais surtout, éviter les sujets qui fâchent comme la politique. Je ne peux pas m'empêcher de sourire à cette idée.

J'ai à peine le temps de commencer que mon téléphone résonne. Je l'attrape et le déverrouille pour prendre connaissance du texto qui vient d'arriver. En découvrant le numéro, mon cœur s'emballe brutalement, cognant de toutes ses forces dans ma poitrine soudain douloureuse. Comment Manuel a-t-il eu mon nouveau numéro ? Je n'en ai aucune idée mais je dois avouer que ça me réjouit.

« Bonjour Emma, je suis devant chez toi avec des croissants, accepterais-tu de les partager avec moi autour d'un café ? »

Je ne peux empêcher un sourire béat d'exploser sur mon visage. Il est devant chez moi mais, incertain de mon accueil, il préfère m'envoyer un sms pour me prévenir. J'adore l'excuse des croissants ! Conquise d'avance, je ne prends même pas la peine de répondre et me précipite sur la porte. Malgré tout, j'essaie d'effacer mon sourire éclatant avant d'ouvrir. Mon cœur subit un deuxième choc en le voyant là, devant moi si beau dans un pantalon noir et son t-shirt vieux rose sur sa peau bronzée, son corps parfaitement proportionné, son visage magnifique à la barbe naissante où j'aimerais promener mes doigts. Je l'ai vu il y a moins de vingt-quatre heures pourtant je m'émerveille toujours autant en le découvrant, comme jamais lassée par son exaltante beauté. Ses yeux bleus pétillent de bonheur qu'il ne tente pas de cacher, lui. Je le laisse passer devant moi, me précédant dans la cuisine. Il pose les croissants sur la table, se tourne vers moi, semblant prendre la température de mon humeur.

M. ScoatneyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant