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Selim et Angèle lisent ensemble dans la chambre de la brune. Isidore et Anatole sont partis ramasser des crevettes avec Coline. La maison n'appartient plus qu'aux deux jeunes adultes paumés.

— Tu fais quoi ? demande-t-elle en le voyant arrêter de bouquiner.

— Ma mère m'appelle, informe-t-il simplement.

La brune se tait et retourne alors à sa lecture. Selim sort de la chambre quelques minutes avant de revenir, la tronche lugubre.

Elle cherche son regard, pour peut-être y déceler quelques informations. Nada. Selim se referme comme une huître.

Et puis, doucement, elle le voit craquer. Son armure se fissure, ses yeux rougissent de larmes et tout son corps se tord de douleur.

— Hé, viens là, dit-elle en s'approchant de lui.

Elle lui ouvre ses bras. Il s'y réfugie un instant.

— J'ai besoin de voir Coline.

C'est tout ce qu'il arrive à marmonner. Rien d'autre. Un silence apparaît et Angèle se sent blessée. C'est comme un coup au visage. Une claque de sentiments.

— Tu veux que je l'appelle ?

Elle a du mal à le faire. Mais en voyant son air paumé, elle le fait. Coline répond au bout du troisième appel et Angèle attend.

Un vide dans son cœur la surprend.

— Ton père ? ose-t-elle enfin lui demander.

Elle s'attend au pire. Le brun se tourne vers elle, passe une main dans ses cheveux, soupire brutalement.

— Il va bien, Ange. Enfin bien. C'est juste... que ça fait tellement longtemps que j'ai perdu espoir et puis là...

Selim n'arrive pas à terminer sa phrase. Angèle se sent confuse et perdue. Il a été tellement triste longtemps qu'être heureux lui paraît juste abominable. Et tristement, elle se l'avoue : peut-être que Coline le comprendrait mieux qu'elle sur le coup.

*

Isidore, Anatole et Angèle attendent dehors. Elle fume depuis tout à l'heure, mal à l'aise et confuse depuis que Coline est revenue calmer Selim. Ils sont dans cette chambre, seuls tous les deux, et Angèle se demande comment Isidore arrive à ne pas s'inquiéter.

— Comment tu fais pour ne pas être jaloux ?

Angèle est jalouse. Vraiment très jalouse. Tellement jalouse qu'elle trouve ça intolérable de sa part. Elle doit respecter leur lien spécial. Elle ne parle à Selim que depuis dix jours et elle en fait tout un plat grotesque.

Mais tout de même, c'est plus fort qu'elle. Elle se dit qu'elle n'arrivera pas être la personne qui puisse aider Selim. À être celle qu'il espère voir au fond quand il ne va pas bien.

— Jaloux de Selim ? demande Isidore en fronçant les sourcils.

Angèle acquiesce. Les deux savent très bien que Coline et lui restent de premiers amours foireux.

— Bah j'sais pas vraiment. Je m'en fous ? Je sais pas.

Anatole lève les yeux au ciel.

— C'est juste qu'il voit pas à quoi ça sert d'être jaloux. Coline et Selim, OK y a eu des antécédents, mais ils se kiffent plus. Spoiler : Coline et Isidore ont couché ensemble la nuit dernière. Ils s'aiment trop pour douter l'un de l'autre.

Isidore est offusqué.

— Ferme ta...

— Allez, « vous avez fait l'amour ». Ça te va ?

Anatole éclate de rire pendant qu'Isidore lui donne des coups, tout rouge. De son côté, Angèle s'allume une autre clope. Elle a envie d'arrêter d'être égoïste.

C'est à ce moment précis que Coline sort de la chambre, l'air sereine, suivie par Selim, les yeux gonflés, mais la mine éclairée. Grâce à la blonde. Toujours grâce à elle.

Cette image de lui, apaisé, la rassure, mais lui donne la nausée. Coline. Encore Coline. Elle adore sa meilleure amie, mais là, elle aura du mal à la regarder dans cet état de nervosité.

— J'y vais, annonce la brune sur un coup de tête.

Alors Angèle fuit vers la plage des levers de soleil oubliés. Angèle fuit pour arrêter de douter. Et dire qu'elle a cru, un petit instant, faire le poids. Peut-être qu'il faut qu'elle arrête pour de bon de se coincer dans son illusion rêvée. Peut-être que c'est le moment d'accepter le fait que Selim ne l'aime pas autant qu'elle aurait espéré.

Sur la plage, elle l'appelle au téléphone. Elle aimerait qu'il vienne. Elle aimerait lui dire, pour mieux enterrer son égoïsme et ses sentiments.

Elle a envie de mettre un terme à tout ce chaos qu'elle a créé en elle avec lui.

C'était comme ça avec Ulysse. La rupture avait été horrible. Angèle s'était sentie tellement basse et inutile. Là, c'est encore pire. Ils n'ont rien vécu et déjà, elle n'arrive pas à se décrocher de ce foutu Selim. Parce qu'elle le voit et qu'elle tombe amoureuse. Elle croit, elle espère et lui... Lui, la regarde.

C'est ça ce qu'elle adore avec Selim. Les regards. L'implicite. Ce que les mots n'arrivent pas à transcrire. C'est cette intensité qui lui donne des élans de courage. C'est cette intensité qui lui donne espoir.

Il lui sourit. Mais ses fossettes ne sont pas toujours là. Elle sourit, tellement fort quand elle est avec lui.

Angèle se sent conne et dramatique. Elle en fait un tout plat pour rien. Elle connaît déjà les schémas. Et pourtant, elle n'arrive pas à se dire qu'elle n'y arrivera pas. Elle n'arrive pas à abandonner l'idée qu'ils s'embrasseront tôt ou tard, qu'elle trouvera un moyen d'éveiller son regard et lui faire oublier son amour inachevé avec Coline.

Maintenant, seule avec elle-même, elle se dit que c'est peut-être ça qui a tout déclenché. Sa solitude ? Sa recherche d'amour ?

Non. C'est juste Selim. Cette image de lui qui lui sourit en parlant des livres. Lui et L'attrape-cœurs qu'elle lit avant de dormir. Selim est un foutu attrape-cœur. Il a attrapé le sien. Et maintenant, elle veut juste arrêter de lui parler, abandonner cette amitié qui n'aurait pas pu marcher et de se laisser porter par ses habitudes d'antan.

— Allô, Ange ? T'es où ?

Elle entend sa voix. Elle adore sa voix.

— Viens à la plage. Faut que je te parle Selim.

Le marque-page est placé là, entre ce qu'il y a eu par le passé et ce qui peut arriver tout de suite dans le présent avec le futur qui l'attend. Quand il arrivera. Quand elle le regardera. Et quand il attrapera son cœur et qu'elle relâchera le sien.

FlûteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant