La genèse de l'ironie

I

          Ada vérifie que toutes les lignes sont bien compilées et que les procédures s'exécutent comme prévu dans leur conception. Quand quelque chose ne fonctionne pas, elle inspecte le dossier qui est lié. Cette opération peut prendre beaucoup de temps pour diverses causes. Une des principales est qu'Ada est contrainte de lire des milliers, voir des dizaines de milliers de lignes, afin de trouver l'erreur au singulier comme au pluriel. Le plus souvent, elle est engendrée par une parenthèse solitaire, une ponctuation absente ou encore une citation s'étalant trop loin.

Ada est une des nombreuses clés de voûte de ce projet. Chaque copie se doit d'être parfaite. Tous les oublis, les ignorances et les maladresses des Auteurs doivent être annihilés. La jeune femme essaye tous les algorithmes. Elle les compile, les exécute, elle effectue les actions les plus insensées et les plus stupides, à l'affût du moindre dysfonctionnement.

Ada a déjà travaillé sur ce genre de mission, mais c'était la première fois qu'elle était sur un projet de cette envergure. Cette fois-ci, les limites sont repoussées, le savoir amené à ses derniers retranchements. On ne compte plus les milliards d'années de travaux nécessaires, ni les moyens employés. Des centaines de milliers de milliards de lignes ont été créées dans des millions de langages différents. La grande majorité des langages sont présents, en allant des plus anciens presque oubliés, aux plus récents connus de tous en passant par des expérimentaux et des nouveaux qui ont été réalisés pour l'occasion.

Ada aime son travail. C'est un honneur pour elle d'être ici. Avec ses petites mains, son clavier et sa tasse de thé (car contrairement à ces confrères et consœurs, elle n'aime pas le café, le trouvant trop amer alors qu'étrangement, selon elle, un bon chocolat noir doit contenir au moins quatre-vingts pourcents de cacao si ce n'est plus), elle joue un rôle dans le développement de l'humanité.