Chapitre 9

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Le père Fiasco était un grand homme robuste ; les bras et épaules larges, le dos droit et il avait un petit ventre discret – vestige, sans doute, de son ancienne musculature. Il imposait un certain respect, de par son apparence physique et du charisme de bagarreur naturel qu'il dégageait. Il avait le crâne rasé, des sourcils épais, les oreilles carrées, une mâchoire taillée grossièrement et un nez d'ancien boxeur, tordu mais d'une beauté singulière. Toute sa physionomie était brute, anguleuse, et les seules lignes qui lui donnaient des traits aériens étaient sa moustache ; une belle moustache cirée, touffue et formée à l'extrémité de deux pointes élancées.

Il avait, en somme, l'allure d'un volcan en sommeil, imposant et majestueux ; c'était ce genre de personne que l'on ne voulait pas énerver, et qui, si l'on restait de leur côté, si l'on ne les contrariait pas, savait être le plus aimable et serviable de tous. D'une gentillesse cachée, très profondément, il inspirait la vénération et la crainte, par certains aspects. Une sorte de colère sourde dormait en lui. Au demeurant très souriant, il parlait avec une grosse voix reconnaissable parmi tant d'autres, le sourire aux lèvres, et l'on pouvait l'entendre d'une pièce d'écart. Esther ne pouvait pas le louper.

Elle, froide et calculatrice, l'avait étudié toute la soirée, savait comment entreprendre son approche. Elle passa derrière lui, pour surgir sur sa droite, dans l'hémicycle qu'il formait avec d'autres personnes ; elle s'imposait carrément dans leur discussion, sans leur demander si c'était possible. C'était ainsi, au milieu d'éclat de voix et de rire, sous la musique feutrée qui planait dans l'air, qu'Esther salua très poliment, d'une voix mielleuse, le père Fiasco :

— Bonsoir. Esther, se présenta-t-elle simplement. Je suis une collaboratrice de M. Otis. Il vous a très probablement déjà parlé de moi, n'est-ce pas ?

— Esther ? demanda l'autre.

Elle était grande, lui d'autant plus. Un instant, ils se regardaient dans les yeux ; lui, il se grattait le menton, et elle, elle l'attendait, les bras croisés, avec ce même sourire radieux qu'elle donnait sans compter aux clients qu'elle tentait de charmer. Et l'autre, enfin, comme retrouvant une idée pendue à sa langue :

— Ah oui ! Esther ! Oui, oui ! Otis m'a parlé de vous !

— En bien, j'espère.

Il acquiesça avec un hochement de tête, et ajouta avec un grand sourire :

— Il m'a aussi dit de me méfier de vous, que vous étiez une redoutable femme d'affaires qui ne s'arrête jamais de travailler !

— Je le prends comme un compliment, ajouta-t-elle du tac au tac.

Puis, le père Fiasco, se tournant vers les autres personnes qui lui faisaient face, deux hommes et une femme tirés à quatre épingles, propre sur eux et habillés comme il faut, ajouta :

— Excusez-moi pour mon impolitesse, je ne vous ai même pas présenté mes amis !

Il commença par la femme, posa sa main sur son épaule, et la présenta avec un grand sourire :

— Madame Fabre, une amie de longue date, mais aussi la plus belle et généreuse des mécènes que je puisse connaître.

— Cessez donc vos flatteries, mon cher, répliqua-t-elle faussement modeste. J'adore le travail de votre fille, il est tout naturel que je la soutienne comme je peux.

— Et vous le faites très bien ! ajouta-t-il.

Puis, il se tourna vers les deux messieurs :

— Monsieur Tarnac et monsieur Garnier, deux collaborateurs français. Ils travaillent pour... comment vous dites déjà ? Qu'est-ce que vous faites ?

Mafia Fiasco [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant