Ils restèrent tous deux, l'un devant l'autre, comme suspendu dans un silence mutuel, se regardèrent en chiens de faïence ; d'une façade froide et impénétrable, leur for intérieur bouillonnait d'une passion naissante, d'une tension charnelle, qu'ils ne soupçonnaient pas encore. C'était perçu pour eux, par un mécanisme de défense sûrement, comme une simple rivalité, celle qui se crée quand deux êtres semblables se télescopent.
Et les yeux dans les yeux, ni l'un, ni l'autre, ne voulait dévier le regard, ultime signe de faiblesse, et l'aveu de la force supérieure de son adversaire. Du reste, et pour chacune des deux fortes têtes, leur souffle s'accélérait, et un vertige – de ce que certains qualifieraient comme étant un sentiment amoureux – leur montait au crâne. Bien sûr, ils étaient trop fiers pour reconnaître la naissance de ce sentiment, à tel point que leur ego eut fini par le couvrir complètement.
Mais les signes ne trompent jamais, ce qui est évident et absolu le reste. Il naissait là, à cet instant, une passion dévorante.
C'était Gianni qui les rappela à l'ordre, en se raclant la gorge ; Esther et Ugo se tournèrent vers lui dans un même mouvement. Le père Fiasco, s'adressa à elle :
— On continue la visite ?
Puis, en se tournant vers Ugo, d'une voix calme mais pressante :
— Je crois que mon fils à un entraînement qui l'attend.
Il répondit oui de la tête, sans sourciller et s'en alla vers le ring où l'autre femme l'attendait, prête à en découdre, faisant quelques étirements. Et de loin en loin, un frisson avait parcouru Esther, puis, elle s'avança, Gianni lui montrait déjà le chemin de la sortie. Ils revinrent dans une voiture noire, conduite par un autre chauffeur.
Le père Fiasco resta dans un silence étrange, regarda à travers les vitres teintées du véhicule, se frottant, par moment, le menton de son pouce et de son index. Esther venait à se demander si elle avait prononcé ou dit quelque chose qui l'aurait offensé, mais rien ne lui vint à l'esprit. Enfin, pour briser cette gêne, elle lui demanda, très hésitante
— Où l'on va maintenant ?
Il se tourna vers elle, les yeux vides, perdus dans ses pensées, très probablement. Enfin, après un long souffle, il lui dit sur un ton grave :
— Ne faites pas l'erreur de fréquenter mon fils.
— Je... je ne me le permettrais jamais, rétorqua-t-elle à bout de souffle.
— C'est un conseil que je vous donne, pas un ordre. Je connais mon fils, je sais comment il se comporte. Je n'ai pas envie qu'il vous blesse, de n'importe quelle manière.
— Merci... du conseil...
— Et pour répondre à votre question, continua-t-il, nous allons à l'atelier de Zolla.
— Très bien, répondit-elle simplement, les mains croisées sur ses cuisses.
Le silence retomba sur les deux personnes, ne restait plus alors que les bruits de la ville, de la voiture, et de toutes les pensées qui galopaient en boucle dans la tête d'Esther. Elle se voyait encore en face d'Ugo, prise par ces sensations qui l'enivraient ; et la mise en garde de Gianni flottait aussi dans ce brouhaha chaotique, rien n'était homogène, sa pensée, finalement, n'était qu'un vaste orage, un tourbillon qui l'entraînait plus profond encore dans ses désirs qu'elle ne connaissait pas.
La voiture s'arrêta devant une grande baie vitrée, incrustée dans un immeuble chic, sur une large avenue de commerces de luxe et de restaurations étoilées. L'endroit n'était pas si éloigné de son ancien lieu de travail, puisque Esther, jetant un coup d'œil aux grattes ciel aux alentour, aperçut la Roosevelt Tower ; un pincement lui serra le cœur, ce qui l'étonna. Elle n'avait pas dans ses habitudes de ressentir ce genre de sentiment, peut-être s'en voulait-elle d'avoir quelque peu trahi son mentor...
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Mafia Fiasco [Pause]
RomanceWorkaholic le jour, croqueuse d'hommes la nuit, Esther est l'incarnation même du succès moderne : peu scrupuleuse quand il s'agit de sa réussite professionnelle. Elle assume totalement sa réputation de tentatrice à la morale questionnable et aux hab...