Chapitre 55 : La couleur rouge

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Jormundgand s'extrayait sans fin des eaux noires du lac. Ses anneaux avaient supporté le poids de tout un royaume qui désormais, se laissait aspirer dans un Maelström de cendres et de braises. Son corps épais écrasait les frontières. Les feux mourants flattaient ses écailles de leur lueur chaude. Entre ses crochets, le Serpent-Monde avait broyé tout ce qui s'était présenté. Tout ce qui avait tenté de s'interposer. Dans ses viscères acides, fondaient les démons de Surt tandis que les derniers survivants se figèrent, pétrifiés par le carillon organique de sa mâchoire, qui sonnait le glas de Musspelheim.

Sinmara le gratifia d'une tape sur le flanc. Avant qu'il ne quitte totalement les eaux, elle avait escaladé son dos et regagné la berge où Surt se tenait prostré, à peine soutenu par des démons tout aussi désorientés que lui. Il n'y avait plus aucune issue pour eux. Le portail menant à Musspelheim avait été détruit par l'avènement du Serpent-Monde et les brèches par lesquelles ils s'étaient infiltrés dégoulinaient d'une lave que le vent glacial changeait en pierre.

Plus rien n'attendait Surt. Les siens se retourneraient contre lui, furieux d'avoir été précipités dans un tel guêpier. Accusé de traîtrise d'un côté de la barrière. Ennemi auto-proclamé de l'autre.

Où que Sinmara porta le regard, le chaos régnait. Du Royaume qu'elle avait bâti, il ne restait rien qu'une carcasse vidée. Une Arène qui ne s'écroulerait qu'avec elle. Les Morts avaient fuis après qu'elle eût passé une existence entière à leur donner un foyer. C'était sa faute. Pourtant, le regret ne parvenait à trouver sa place dans sa poitrine. Chacune de ses actions avaient été réfléchie. Les Asgardiens avaient mérités d'être ainsi déchus. Définitivement. Eux, avaient festoyés des siècles durant, entre deux traques de sorcières, entre deux enfants arrachés à leur mère et jetés à la limite des Mondes. Ils avaient mérité de voir leurs derniers espoirs s'effondrer. De voir leur prétention clouée au sol.

Tout comme Surt. Il l'avait défiée. Il avait déclaré une guerre sournoise que Sinmara terminerait. L'arène ne s'écroulerait pas. Les Morts retrouveraient leur foyer. Toute la colère qu'ils déposaient autrefois à l'entrée de son Palais bouillait dans ses membres, troublant le diamant de Nidavellir d'une pellicule laiteuse. Ses deux chairs se confondaient dans une même teinte claire. Sinmara ressentait la Vie dans ce qu'elle avait de plus douloureux, de plus viscéral et tous, autour, pouvaient le voir. Derrière elle, Jörmungand se dressait dans une posture agressive. Une large collerette d'épines, longues et perçantes comme les rayons d'un soleil, couronnait sa tête.

« SURT ! rugit-Sinmara, la bouche pâteuse de cendres.

Le Brasier se mourrait, étranglé par Jörmungand. Dans l'air devenu compact, Sinmara, les yeux plissés, devinait des mouvements. Ceux des derniers démons s'évanouissant dans les ténèbres. Ceux, vains, du vent qui balayait encore et encore la poussière qui recouvrait tout. Au centre de la gigantesque spirale dessinée par le Serpent-Monde, Sinmara hurla le nom du Seigneur de Musspelheim aussi longtemps qu'il demeura terré dans la pénombre. Son cœur explosait de toute la rage dont elle s'était imprégnée, de tous les maux qui la maintenait vivante, de toutes les douleurs dont elle avait délesté les Morts pour nourrir une magie qui, cette nuit-là, s'apprêtait à se déchainer.

Et enfin, Surt se montra. Au-dessus de lui, toute une constellation cingla le ciel de sa langue fourchue. Sinmara se plut à le découvrir misérable. Les bras de Surt tombaient en cendres, calcinés par plus puissant que lui. Sa démarche incertaine, laborieuse, butait contre les irrégularités du sol. Ses yeux noirs ne tarderaient plus à éclater dans leurs orbites, pour ne laisser que deux coulées de suif.

Il ne ressemblait plus qu'à un homme. Un homme ordinaire, ressortant d'un torrent de flamme. Quelques fous, encore loyaux, se rassemblaient à ses côtés. Ils se fondaient en un être informe, une créature dont les organes s'entrechoquaient, qu'aucun muscle, qu'aucune peau ne protégeait. Un Varan immense qui aurait tenu dans la gueule de Jörmungand. La démesure du Serpent n'empêcha pas l'orgueil du Lézard. Dressé sur ses pattes arrière, il jaugeait son adversaire, dont le regard embrasait les étoiles.

La Reine de Helheim [Tome 3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant