King Angelo

Chapitre 3

Tous les regards s'étaient braqués sur moi. Tous. Les personnes s'étaient retournées une à une, en me dévisageant comme un monstre qui hantait les cavernes de Kaydos.

Je posai l'assiette, désormais vide, avant de me lever. Les mains essuyées contre la nappe, j'émis un petit rire gêné. Je décidai ensuite de me retourner et de partir à tout vitesse sur la terrasse. J'ouvris la première porte qui venait à moi et me posais aussitôt sur le balcon.

Mon Dieu. Si je ne suis pas décapitée demain à l'aube, alors je ne comprendrai pas la duchesse. J'ai dû ternir son image, oh la la. D'habitude mon ventre ne se manifeste jamais autant ! Mais là... Il en avait décidé autrement.

Un petit rot aurait pu passer mais sans se mentir... il avait bien résonné dans l'immense salle. Je suis sûre que même les gardes qui se trouvaient dehors l'avaient entendu.

Mes joues avaient commencé à chauffer et je devais poser mes mains dessus pour essayer de dissiper et d'oublier ce fâcheux moment. Je n'avais même pas osé regarder la famille royale qui venait de descendre.

La duchesse va me tuer. Quand elle apprendra ce qu'il s'est passé, que je lui ai fait honte à ce point, l'arrêt de mort de Flora sera signée. Ne parlons même pas de mon oncle...

— Les demoiselles ont normalement plus de convenance. Auraient-elles changé ? intervint une voix grave, me faisant violemment sursauter.

Je me retournai, apeurée, mon cœur n'ayant pas supporter qu'on m'interrompe dans ma tirade personnelle. Mais malheureusement, mon souffle se coupa sans délai. L'homme qui se trouvait devant moi mêlait bien des qualités que jamais je n'avais pu voir pour un seul homme. Il était à la fois majestueux, élégant et imposant. C'est comme si rien qu'avec sa présence, il comblait l'air qui devait normalement circuler dans mon corps.

De loin, je pouvais apercevoir ce teint parfaitement basané, qui était marqué par différents traits de son visage. Une bouche sensuelle, que jamais je n'avais remarqué chez aucun homme côtoyé dans le passé. Un nez sculpté dans toute sa finesse. Une barbe courte, très bien taillée ainsi que des cheveux couleur noir corbeau.

Mais ce qui me marqua le plus, était son regard. Enfin... comment parler d'une ou de plusieurs émotions, alors que son visage ne laissait qu'entrevoir une forteresse impénétrable ?

Il était divinement beau, je pouvais l'avouer. Mais il ne fallait pas que je me laisse avoir par ce cadeau qui lui était tombé du ciel. Toujours se méfier des hommes, même si celui-là avait en un seul regard, fit accélérer les battements de mon cœur.

— Mademoiselle aurait-elle perdu sa langue ? N'étant pas sourd, il me semble bien vous avoir entendu lâcher une éructation provenant de votre estomac. Je me trompe ? continua l'homme, en s'avançant d'une démarche déterminée vers moi.

Chaque pas qu'il fit rendait mon cœur affolé. J'étais en train de manquer d'air rien qu'avec sa présence. Et je crois que voir ses yeux gris, brillant grâce aux reflets de la lune, venait de me faire perdre tous mes moyens.

— Non... soufflai-je, en reculant, jusqu'à toucher un mur de pierre.

L'homme fronça les sourcils, mais décida de s'avancer une nouvelle fois, une étrange lueur dans son regard sombre. Il plaqua dans un geste très déterminé, ses mains contre le mur, m'emprisonnant  donc de ma liberté.

— Intéressante. Je ne m'étais pas trompé. Venez danser avec moi, duchesse de Fay, dit-t-il, son regard ancré dans le mien.

Mes joues s'étaient mises à chauffer davantage lorsque son souffle chaud s'était écrasé contre ma peau, malgré la fraîcheur de la nuit déjà bien avancée.

— Pourquoi ? demandai-je, en relevant la tête pour oser croiser ce regard d'acier.

— Ne jamais rien refuser au roi. Allons, venez, répliqua-t-il, avant d'attraper ma main.

Malgré ce regard froid, cette sensation d'impénétrable qui émanait de lui, sa main était venue rejoindre la mienne dans un geste doux et délicat. Je m'étais même surprise à faire une pression sur sa grande main virile. Je me laissais guider, désormais à sa merci.

Enfin. Jusqu'à que je ne m'arrête net et lâche un petit cri qui visiblement, n'était pas passé inaperçu.

— Roi... oh mon Dieu... murmurai-je, le visage décomposé.

— Les danses vont commencer, allons-y.

— Attendez ! m'exclamai-je, en revenant déjà dans la salle maudite.

Je le regrettai aussitôt. Tout le peuple se retourna sur nous, leur regard laissant trahir leur totale incompréhension. Moi, jouant la duchesse de Fay, alors qu'en réalité je n'avais aucun titre, me retrouvais main dans la main avec le roi... ?

« Ne te fais pas remarquer Flora. Je ne me le répéterais pas » avait-elle dit, les yeux assombris.

Ne vous inquiétez guère, très chère. Je suis juste collée au roi d'Italie, en train d'entamer une danse au beau milieu de tous les convives.

— Détendez-vous, murmura-t-il, pendant que la musique reprit son rythme.

Ses deux mains s'étaient posées, comme si cela était tout bonnement naturelle, sur chacune de mes côtes. J'avais timidement posé les miennes sur son épaule et sa taille. Une douce chaleur m'avait envahie, me laissant toute pantelante dans ses bras musclés.

Pincez-moi... Je suis en train de danser avec le nouveau roi, l'aîné de la famille, et l'homme avec lequel je n'avais pu mettre une image sur son visage.

— Ne soyez pas crispée, duchesse. Ce n'est qu'une simple danse... reprit-t-il, en m'entraînant au grès des notes de musique.

Duchesse, bien-sûr.

Malheureusement il n'aurait pas dû s'obstiner à continuer la danse. Quelques secondes s'écoulaient et mon pied vint gracieusement s'écraser sur le sien. Tout mon corps venait de se raidir, me rendant compte de ma plus grande erreur jamais commise. L'homme se stoppa net dans sa valse et je devais relever la tête afin de croiser son regard.

Quoi... Une nouvelle lueur était apparue dans ses yeux... De l'amusement... ?