Les cinquante ans du Colonel Chabert

La révélation

Cette nuit là, le silence régnait dans le château. La nuit était fraiche, Marc-Antoine était enroulé dans une épaisse couverture. Cette nuit-là, le sommeil ne venant pas, il ouvrit les yeux pour aller chercher un peu d'eau et vit avec angoisse un homme dont la silhouette lui était trop familière, un poignard à la main. Cette nuit-là, ce ne furent pas les rêves qui l'emportèrent dans le monde de l'imaginaire, mais ce poignard. Ce fut la dernière nuit de Marc-Antoine Dupuis, qui emportait avec lui la seule et unique vérité. L'homme au poignard essuya ses lunettes, plaqua ses cheveux noirs en arrière. Il était fier de son crime, fier d'accomplir petit à petit sa vengeance. Depuis sa plus tendre enfance, il était humilié et subissait toutes les moqueries, il avait fait l'armée en espérant trouver des gens responsables et respectueux, mais dès que les journées d'entrainement se terminaient, ses camarades le méprisaient plus que jamais, en particulier son colonel et un autre soldat, qui le prenaient comme ami afin de mieux le ridiculiser.

Le criminel changea de chambre et son poignard fit une troisième victime. Il posa son regard sur la cravate jaune posée sur la table de nuit, et sourit. Il ne voulait pas tuer son dernier ennemi, le pire d'entre tous, mais briser sa vie. Il avait déjà éliminé ses amis les plus proches, sa femme, et il comptait offrir le bouquet final en le livrant à la police avec son histoire montée de toutes pièces...

Le lendemain, le téléphone fut miraculeusement réparé, et la police arrêta le Colonel Chabert. Celui-ci tenta désespérément de montrer son innocence, mais les preuves étaient trop évidentes.

***

Les années passèrent, le colonel devint fou, il ne cessait de hurler son innocence, mais personne ne le croyait, aussi finit-il par rejoindre l'asile. Un soir, il arracha le couteau de cuisine de la main du cuisinier. Il était fou, innocent et pour lui la vie ne valait plus le coup d'être vécue. Avant de rejoindre son dernier sommeil, il souffla :

« Il a tué, et il tuera. Qui sait, vous êtes peut-être sa prochaine victime... »