Chapitre 2 : Solitude Enchaînée

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Le lendemain, Väalfryda fut conduite après son repas du matin dans une arène où elle fut montée. A son grand désarroi, la pouliche avait désormais atteint une taille et une force suffisante pour porter sur son dos des familliers de petite taille, même si elle était encore loin d'être adulte. Depuis quelques temps, on lui avait mis ce qu'ils appelaient une « selle » sur le dos (et qui lui entravait les ailes), ainsi qu'une bride, en plus de son licol, munie d'un mors qui lui torturait gencive, palais et commissure des lèvres.

Bien entendu, elle était censée obéir à son cavalier.

Mais bien entendu, elle ne le faisait pas. Pourquoi obéirait-elle ?Le bestiau sur son dos n'offrant rien en échange de sa coopération,Väalfryda ne voyait aucun intérêt positif à lui obéir.

― Ça suffit sale canasson ! Hurla le famillier.

Des éperons lui poignardèrent les flancs tandis que Väalfryda ruait sans relâche. Énervée au plus haut point, elle s'immobilisa.

―Ah non ! Cria son cavalier lorsqu'il la vit basculer sur le côté. Fais ça et je te jure qu...

La pouliche se jeta presque à terre, obligeant le famillier à quitter sa selle pour ne pas finir écrasé sous son poids. Cette position sur le dos étant peu confortable à cause de la selle, la pouliche se releva à toute vitesse et bondit hors de portée du famillier,qui hurlait à pleins poumons. Une ombre lui sauta dessus et, lorsqu'elle s'écarta, il était déjà trop tard. Elle s'écroula dans le sable qui recouvrait le sol de la petite arène et perçut un rugissement affreusement familier. La lourde patte d'un taska deux fois plus gros qu'elle s'appuya sur son encolure pour l'empêcher de se relever.

―Bouges pas, gronda-t-il.

―GARDES !!! Hurla le famillier qui se trouvait sur son dos quelques instants auparavant.

Quatre familliers en armure déboulèrent dans l'arène.

―Mettez-le dans la Stalle Vide.

Ils se fichaient même de savoir s'ils étaient des mâles ou des femelles. Deux gardes saisirent une rêne dans une patte et sa bride dans l'autre tandis que le taska retirait la sienne de son encolure. ―Debout, lui ordonna-t-il en lui assénant un lourd coup de patte sur la croupe.

La pouliche se releva d'un bond. Les taskas n'étaient pas commodes et griffaient ou mordaient facilement. Il était donc préférable de ne pas discuter. On lui retira la selle et la bride sans ménagement et rattachèrent la lourde chaîne sur son licol. Les deux familliers qui la tenait la tirèrent hors de l'arène tandis que les autres l'encadraient et lui fouettaient la croupe à coups de cravache si elle bronchait ou ralentissait. Ils empruntèrent une pente en bois qui remontait en colimaçon vers le haut de la forteresse et dépassèrent plusieurs portes menant à différents étages. Ils s'arrêtèrent à mi-chemin, devant une porte carrée tout juste assez grande pour faire passer un cheval adulte. L'un des gardes à la cravache posa une patte enveloppée de métal sur une sorte de cercle lui aussi en métal. Sa patte s'illumina de magie et la porte s'ouvrit sur un long et étroit couloir qui menait à une autre porte que le famillier ouvrit de la même façon. L'entrée (encore plus petite que la précédente) s'ouvrit sur une pièce à peine plus large que le couloir.

Et en pierre noire. Partout. Au sol, sur les murs et au plafond. Un ridicule petit trou dans le mur situé un peu en-dessous du plafond qui s'étendait haut au-dessus de sa tête, laissait entrer un filet de lumière à peine suffisant pour y distinguer ce qui se trouvait dans la cellule... c'est à dire rien. Pas de litière, pas d'auge ni d'abreuvoir. Juste un anneau d'attache sur le mur du fond. Les

familliers l'y attachèrent en lui laissant tout juste assez de longueur de chaîne pour s'allonger, lui donnèrent une dernière tape sur la croupe et sortirent. Väalfryda regarda la lourde porte se refermer dans un crissement qui résonna longtemps à ses oreilles. Elle était enfermée, seule, sans personne à qui parler (à part ces maudites pierres, mais la conversation risquait de ne pas être très intéressante). La petite alicorne se demanda combien de temps elle resterait enfermée ici. Et combien de ses semblables étaient devenus claustrophobes après leur séjour dans cette pièce. Ou complètement fous. Ou étaient morts d'ennui.

Elle pensa que mourir d'ennui serait la solution la plus probable. Grâce à la (très faible) lumière du soleil et des deux lunes, elle compta trois jours. Trois jours et trois nuits passés à tourner en rond dans cette fichue pièce. Sans eau. Sans nourriture. Sans visite. Sans autre bruit que celui du vent à l'extérieur ou de sa chaîne qui cliquetait lorsqu'elle bougeait.

Il faisait nuit quand cela arriva.

Couchée sur le sol, elle ne voyait rien, rien que les ténèbres dans sa cellule tellement étroite qu'elle ne pouvait étendre complètement ses ailes. Elle en venait à oublier leur couleur tout comme celle de sa crinière et de son pelage. Elle se demanda si elle pourrait un jour voler, sans cavalier, sans harnachement, librement. Sentir le vent dans ses plumes, pouvoir galoper en toute liberté, dans la nature, voir d'autres chevaux, trouver un compagnon, rencontrer d'autres animaux, voir le soleil. Voir le monde.

Elle interrompit le cours de ses pensées lorsqu'il lui sembla entendre des bruits venant d'en bas. Elle leva la tête, les oreilles dressées, attentive au moindre son. Au bout de quelques instants,ses oreilles se tournèrent vers un horrible bruit produit par un objet que les famillier appelaient « cor ». Une alarme ? Pensa-t-elle. La pouliche se leva d'un bond et tendis l'oreille. Le bruit s'interrompit. Elle attendit, sur le qui-vive. Quelques instants plus tard, d'autres bruits se firent entendre. Elle se concentra pour essayer de les identifier :rugissement, hennissements, cris de familliers... Couinements.Couinements ? Des taskas souffrants ? Elle savait que même eux commettaient parfois des erreurs et se faisaient punir.Mais ils semblaient êtres plusieurs à souffrir... Même beaucoup. Un truc qui ressemble à une alarme et des taskas qui souffrent. Une attaque ? Elle discerna des « clic clic » de ferraille et d'autres hennissement, plus grave que ceux qu'elle avait l'habitude d'entendre... Et un son reconnaissable parmi tous les autres : celui de la magie ! Des adulte ?! De la magie ?! S'écria-t-elle mentalement. Ils viennent nous sauver ?!!! La pouliche sauta sur place, hennit du plus fort qu'elle put, frappa le sol des sabots, fit le plus de bruit possible pour signaler sa présence. Les bruits s'intensifièrent. Elle hennit de plus belle. Son brouhaha dura un certain temps, puis elle s'arrêta et tendit l'oreille. Il lui semblait que... Non. Non, NON !!! Les bruits s'éloignèrent.

―NON !REVENEZ !!!!

La jeune alicorne hennit à s'en arracher les poumons, frappa de sol à s'en briser le sabots. Mais les bruits s'estompèrent. Elle lança un ultime hennissement, mais le vacarme avait disparut et le silence était retombé.

Elle pleura, hennit encore, pleura plus fort, pour finir par se laisser tomber sur le sol, abattue. Pourquoi ?Pensa-t-elle. Pourquoi n'êtes-vous pas venus ? Pourquoi n'avez-vous pas entendu ? Si beaucoup de temps s'écoula, elle n'en savait rien. Elle était désespérée. Totalement désespérée. Le tonnerre gronda au loin lui sembla-t-il. Mais elle s'en fichait. Elle se consola en se disant qu'au moins, les autres poulains s'étaient évadés, qu'ils étaient libres. Mais elle...

Soudain, elle sursauta. Un flash illumina sa cellule. L'orage se rapprochait.

Mais elle s'en moquait. Demeurerait-elle ainsi toujours prisonnière ici ? Passerait-elle sa vie enfermée dans cette forteresse ?Un autre flash la tirèrent de ces sombres pensées. En reniflant l'air qui s'infiltrait par le trou, Väalfryda sentit qu'il y avait quelque chose d'étrange. Ses naseaux frémirent. Quelque chose l'attirait au dehors, comme si un ami était là, à l'attendre derrière ce mur. Soudain, un flash bleuté illumina la pièce, Un autre éclair, plus proche que jamais, s'abattit sur le mur de la cellule.

Les pierres volèrent en éclat sous l'explosion qui projeta la pouliche contre la porte. Cette dernière résista tout de même à son poids mais elle lui importait peu désormais. Car devant elle, il n'y avait plus rien. Plus la moindre pierre. Plus le moindre obstacle... Sa chaîne elle-même avait explosée en un million de petits bout de métal. Dehors, loin en contrebas, il y avait de l'herbe. Puis la mer.

Il ne fallut qu'une fraction de seconde à Väalfryda pour réagir.

Elle ne réfléchit pas.

 Et plongea dans le vide.  

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⏰ Last updated: Oct 02, 2018 ⏰

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Magie SauvageWhere stories live. Discover now