Bien réel

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- Tu as déjà embrassé une fille ?

Sa collègue la regarda médusée. Elle avait certainement remarqué son attitude étrange. Lou était plus souvent en retard, toujours dans ses pensées. Mais le plus alarmant devait être cette obsession pour ce tatouage. C'était la seule chose qu'elle distinguait clairement dans ses rêves ; il devait bien y avoir une raison. Peut-être ce motif avait-il une signification spéciale ? Elle avait besoin de le dessiner. Dès qu'elle devait s'occuper l'esprit, elle prenait un crayon et un morceau de papier. Et ce besoin prenait de plus en plus d'importance à mesure que son attitude intriguait son entourage. Même son petit ami commençait à perdre patience depuis quelques jours, s'éloignant d'elle. Finalement même leur voisine pourtant si peu bavarde alimentait de vraies disputes. Et Lou ne contrôlait plus ses rêves. Tout y allait de plus en plus vite, de plus en plus loin. Un simple baiser avait mené à tellement plus. Chaque nuit maintenant elle se réveillait agitée et en sueur. Parfois honteuse de ce qui se cachait tout au fond de son esprit, elle avait peur que son petit ami ne sache tout. Avait-elle bien effacé son historique de navigation sur internet ? Parlait-elle durant ses rêves ? Elle avait presque l'impression de le tromper.

Cette nuit-là, elle avait eu peur de s'endormir et n'avait pratiquement pas fermé l'œil. Mais les images de ce tatouage étaient tout de même venues la hanter ; dans les miroirs, superposées à son propre reflet ; dans les ombres évocatrices de la nuit. Il fallait que ça s'arrête, qu'elle puisse reprendre sa vie et enfin enlever tous ces dessins de son sac...

- Lou !

Elle sursauta à l'appel de son nom ; c'était son patron qui venait de lui signifier de son verbe grandiloquent la fin de sa pause. Elle reprit donc son service. Évitant miroirs et vitres autant que possible. Tentant de masquer ses sursauts lorsque l'image d'un tatouage venait se superposer à la réalité. Sur les nerfs, les mains tremblantes, elle bondit en arrière en sentant la main de sa collègue se poser sur son épaule, laissant tomber au passage les verres qu'elle portait. Choquée, cette dernière ne put que lui balbutier rapidement d'aller se rafraîchir et elle lui obéit sans même réfléchir, espérant un peu de répit à cette journée qui n'en finissait pas. Mais chacun des reflets qu'elle croisa en se dirigeant vers les vestiaires lui ôta un peu plus d'espoir. Elle s'affaissa sur une chaise et plongea la tête dans ses mains. À peine eut-elle fermé les yeux qu'elle sentit une main se poser sur son bras. Elle les rouvrit instantanément. Il n'y avait personne. C'en était trop. Elle n'en pouvait plus. Il fallait que ça s'arrête. Il le fallait.

- ll faut que ça s'arrête !

Se retenant de hurler à pleins poumons, Lou ôta son uniforme et le jeta au sol. Elle rassembla ses affaires en toute hâte et sortit de la brasserie sous le regard atterré de son patron. Marchant le plus rapidement possible vers son appartement, elle dû faire un effort considérable pour éviter les vitrines prêtent à offrir une échappatoire à son esprit confus. Détournant le regard vers l'autre côté de la rue, elle se sentait perdue et imaginait déjà la conversation avec son petit ami le soir même, quand quelque chose attira son attention. À l'ombre d'une arcade, une petite pancarte au sol indiquait d'une flèche un renfoncement donnant accès à l'entrée annexe d'un bâtiment. Sur la pancarte il était indiqué "TatooShop". Elle s'arrêta en face de la petite pancarte et dans un élan d'espoir suivi l'indication. Elle passa alors une porte d'entrée marquée du même nom pour se retrouver à l'intérieur d'un petit salon de tatouage calme et silencieux. À l'encontre de toutes les idées reçues qu'elle s'était faite sur ce genre d'endroits, la pièce était plutôt lumineuse et une douce odeur d'agrumes y régnait. Elle aperçut alors un homme accoudé à un comptoir. Hésitante, elle se dirigea vers lui.

- Bonjour ! entonna-t-il avec un large sourire. Je peux vous aider ?

- Et bien, je...

Hésitante elle sortit un des dessins de son sac et le lui montra.

- J'aimerais avoir des renseignements sur ce motif. Je... Je ne sais plus où j'ai vu ça et je n'arrive pas à me le sortir de la tête alors... Des fois que.

Elle s'interrompit en découvrant la mine déconfite de son interlocuteur. Effectivement, même avec toutes les excuses du monde sa demande n'en serait pas moins étrange. Pourtant au point où elle en était, si avoir l'air d'une folle pouvait l'empêcher d'en devenir une ; autant essayer. Mais l'homme ne trouvait pas quoi lui répondre. Il marmonna quelque chose à propos d'une collègue avant de crier un nom dans la boutique.

- Eléanor ! Viens voir deux minutes...

Eléanor... Ce prénom n'était pas complètement inconnu aux oreilles de Lou. Peu courant, mais elle l'avait déjà entendu auparavant. Elle fut saisi de stupeur lorsqu'elle vit sa voisine sortir de l'arrière boutique et se diriger vers eux. Cette dernière parut d'ailleurs tout aussi surprise de la voir à cet endroit mais masqua vite son étonnement et se dirigea vers son collègue. C'est alors que Lou le remarqua ; le tatouage sur son bras, autour de son cou et redescendant vers sa poitrine. Lou cligna des yeux plusieurs fois mais cette hallucination-là n'en était pas une. Le tatouage était bien gravé sur sa peau, exactement semblable à celui dont elle avait rêvé. D'ordinaire il devait être caché sous la veste qu'elle portait et Lou ne l'avait pas vu avant ce jour. Mais désormais elle ne portait qu'un haut sans manche découvrant la totalité de ses bras et le haut de son buste. Elle ne comprenait pas. Comment était-ce possible ? Plus elle y pensait, moins elle pouvait s'empêcher de l'observer ; la taille fine, le visage doux et des lèvres charnues. Même si cette idée lui faisait peur, elle était persuadées que si elle se mettait à côté, elle serait à peine plus grande qu'elle...

L'expression confuse de sa voisine la ramena à la réalité. Elle venait de poser les yeux sur le dessin qui, elle en était persuadé, devait être l'exacte représentation de son tatouage jusque dans ses détails les plus intimes. Un silence pesant s'était installé et seules les joues écarlates de ladite Eléanor laissaient présager du fil de ses pensées. Malgré la gêne que trahissait son sourire, c'est finalement elle qui brisa le silence la première, juste au moment où Lou envisageait de s'enfuir en courant.

- Tu... Tu veux boire un verre ?

ObsessionWhere stories live. Discover now