Découverte

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En ce début d'après-midi, la chaleur estivale est particulièrement accablante sur le parvis du commissariat, comme dans tout le reste de la ville. Le gardien de la paix André Roux sue à grosses gouttes sous son gilet pare-balle, tandis que la lanière de son arme automatique pèse lourdement sur son épaule. Il maudit les consignes de sécurité qui lui imposent de rester en faction devant l'entrée de l'hôtel de police, immobile sous un soleil de plomb. Mais en cet instant, son ressentiment est surtout tourné vers deux jeunes à scooter : ceux-ci remontent la voie de bus à contresens, sans casque bien sûr. Il pourrait appeler ses collègues, mais en cette période estivale, le service est en manque d'effectif et aucune patrouille n'est disponible pour un motif aussi futile. Aussi doit-il endurer de les voir passer devant le commissariat et le narguer sous le regard désabusé des badauds.

Mais voilà que le scooter oblique en direction du planton pour s'immobiliser à une dizaine de mètres de lui. La provocation n'a plus de limite ! Sous le regard stupéfait d'André Roux, les deux adolescents déposent un enfant sur le trottoir avant de repartir en trombe. La scène n'a duré que quelques secondes, et toute aussi sidérée que le policier, la fillette, – elle n'a guère plus de trois ans – se met aussitôt à hurler de terreur....

Les cris résonnent dans tout le bâtiment et jusqu'au bureau du lieutenant Lina Saïdi. La jeune femme se détourne bien vite de l'écran d'ordinateur et du rapport rébarbatif sur les vols à l'étalage qui s'y affiche. Son sang ne fait qu'un tour, elle se lève. A l'inverse, son collègue Patrick s'enfonce un peu plus dans son fauteuil, faisant tout son possible pour ne rien entendre. Pas étonnant de sa part se dit Lina en quittant le bureau.

Si la chaleur était presque supportable dans la pièce qu'elle vient de quitter, grâce aux nombreux ventilateurs, le couloir lui est étouffant et moite. Lina sent son débardeur se plaquer contre elle et se charger de transpiration. Elle grimace en jetant un œil sur son reflet dans la vitre du bureau : une peau mate, de longs cheveux noirs et un haut beaucoup trop moulé sur sa poitrine. Si elle prend soin de son apparence, l'officier de police n'apprécie guère de se faire mater par les usagers qui attendent leur tour dans le hall du commissariat.

Elle dévale néanmoins les marches de l'escalier pour s'y rendre : une grande pièce hexagonale, bordée sur la gauche par un vaste comptoir en bois derrière lequel officie l'agent en charge de l'accueil et sur la droite par des bancs. Une dizaine de personnes les occupe : une mère de famille tente de faire patienter ses trois enfants dont un petit en poussette – mais les cris ne viennent pas d'eux. Un homme en costume cravate a le regard rivé sur son smartphone, un autre habillé comme s'il venait à la plage, tong, shirt et t-shirt large a les yeux fermés, plongé dans la musique sortant des écouteurs fichés dans ses oreilles... Mais aucun ne songe à venir en aide à André Roux. Le gardien de la paix se trouve bien seul, désemparé avec un enfant terrorisé hurlant dans ses bras. En la voyant arriver, il lance à Lina un regard désespéré d'appel à l'aide.

La lieutenant le rejoint et murmure des mots apaisants à la fillette, tout en lui caressant le front. Quand celle-ci a pris conscience de la présence de Lina et de ses intentions rassurantes, elle se laisse prendre dans les bras et s'y accroche aussitôt comme une naufragée à un radeau. Lina la berce doucement, et peu à peu la fillette se calme, les sanglots laissant place à de petits hoquets sporadiques. L'officier de police remarque alors que les vêtements de sa protégée sont trempés, ce que des larmes même à torrents ne pourraient expliquer.

« C'est quoi ce bordel ?! » hurle une voix féminine, froide et autoritaire dans son dos. Lina soupire en se tournant vers la commissaire Myriam Dupré, attirée elle aussi par les hurlements. André Roux résume brièvement l'affaire à sa supérieure qui ne cache pas son impatience et son agacement en l'écoutant.

« Un enfant perdu... Et rien pour savoir d'où elle vient.... » conclue-t-elle avec assez peu d'empathie. « Première priorité, appeler l'Aide Sociale à l'Enfance pour qu'ils nous en débarrassent. On n'est pas une garderie ici. Ensuite, vous lancez la procédure habituelle : appel à témoin, etc... »

Le sang de Lina ne fait qu'un tour. Non, elle ne peut pas laisser emmener la fillette dans un foyer ! Son arrivée au commissariat est suffisamment traumatisante, un nouveau changement de lieu serait catastrophique ! Mais elle sait que ce n'est pas en faisant appel aux bons sentiments de la commissaire qu'elle la fera fléchir :

« Cheffe, si on veut régler l'affaire rapidement, l'enfant peut nous être utile. Même à son très jeune âge, elle peut peut-être nous donner des éléments pour identifier et localiser ses parents. »

« Vous avez les compétences pour interroger les mineurs, lieutenant Saïdi ? » réplique Myriam Dupré d'un ton cassant.

« Ça ne coûte rien d'essayer. » répond celle-ci. Puis elle ajoute « Et si ça marche... Les journaux adorent ce genre d'affaire. Un article sur l'excellente réactivité de la police sera bonne pour notre image ».

L'argument fait mouche. Sans doute la commissaire se voit-elle déjà interviewer dans la presse régionale.

« Ok, l'ASE passe en astreinte à 18h. Si à 17h45, vous n'avez pas retrouvé les parents, je les appelle ».


ASE : Aide Sociale à l'Enfance

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