1. Deuils & Identité retrouvée

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San Francisco – Californie, mois d'août.

La vie peut parfois prendre des tournants inattendus. Dans mon cas, elle ne cesse de s'acharner sur mon triste sort. Ma vie n'est faite que de pertes. À croire que j'ai hérité d'un destin funeste. Désormais, je suis bel et bien seule face à tout ce qu'elle peut représenter. Je me demande bien comment je vais faire afin de surmonter à nouveau ces deuils multiples.
Papa nous a quitté, il y a maintenant plus d'une dizaine d'années. Il ne s'est jamais remis de la perte de ma mère. Cette dernière était une amérindienne et c'est la seule chose que je connaisse à son sujet. En effet, il était inutile de me le cacher, il n'y avait qu'à m'observer pour avoir la certitude que je descendais bien des Natives. Cette dernière est morte en me donnant naissance. Je ne l'ai donc jamais connu, et cela a créé en moi un trou béant inexplicable que je n'ai jamais pu combler.
Papa évitait toute discussion à son sujet. C'était devenu tabou. On n'en parlait jamais, même lorsque j'ai été en âge au prise d'une curiosité enfantine. On ne parlait jamais de maman, elle était inexistante, point.
Ce dernier s'est laissé sombrer dans l'alcool au désarroi de ses parents. Mes grands-parents. Ils ne m'ont jamais laissé tomber. D'une très grande attention envers moi, leur unique petite fille. Ils ont su prendre soin de moi, dès que mon père s'est présenté à leur porte, un matin d'hiver, avec dans ses bras un nouveau né, l'air désespéré et abattu par un chagrin sans nom.
À l'âge de six ans, je me demandais déjà, pourquoi la vie m'avait déjà pris mes deux parents. Tous mes amis à l'école avaient toujours leurs pères et mères. J'étais la seule qui vivait avec ses grands-parents uniquement. Je me demandais même si j'étais quelqu'un de mauvais. Peut-être était-ce à cause de cela que je n'avais plus le droit à leur présence autour de moi? Enfant, notre curiosité nous pousse à nous poser tout un tas de question qui restent bien souvent sans réponses, car parfois, les personnes a qui nous les posons n'ont tout simplement pas d'explications ou de mots.  
Pour ma part, je n'ai interrogé mes grands-parents qu'une seule fois et je l'ai regretté aussitôt les mots ayant franchi mes lèvres. La tristesse qui s'est peint sur leur visage gracieux à l'habitude, m'a suffi à éprouver sincèrement un profond regret au vu de leur peine qu'ils ne laissaient que très rarement transparaître en ma présence.
Dernièrement, ce sont eux qui m'ont laissé à leur tour. Grand-mère s'est éteinte il y a deux mois, et malgré ma présence et mon attention, grand-père s'est laissé aller à la rejoindre. Mes larmes ne coulent plus depuis bien longtemps déjà. Ayant baigné dans cette tristesse perpétuelle de la perte dès mon plus jeune âge, je n'arrive tout simplement plus à en verser. Mes yeux, aussi secs qu'un désert aride.
J'essaie de me faire une raison. Je me dis que c'est la vie et qu'elle est bien triste dans mon cas, mais qu'il faut que j'accepte. Ce n'est pas comme si je pouvais les faire revenir. Je me fais à l'évidence que je suis désormais orpheline. Je ne suis entourée d'aucune famille, il ne reste que moi. Et cela m'effraie d'affronter la vie en ayant plus personne. Je n'ai que dix-sept ans, et je sais que mon parcours va se révéler effrayant, solitaire et long.

Je me retrouve seule dans la maison qui m'a vu grandir. Autrefois, pleine de vie grâce à la bonne vivante qu'était grand-mère, et où résonnait sans cesse la radio de grand-père, il ne règne cependant qu'un silence désagréable, et auquel je sais d'emblée qu'il me sera impossible à faire face. Je ne pourrai jamais m'y habituer.
La sonnette me fait sursauter et me sort de l'état figé dans lequel je me suis laissée aller depuis je ne sais combien de minutes, plantée au milieu du salon, perdue dans ma triste vérité. Je pose le cadre qui représentait ma seule famille, toujours entre mes mains, sur la console à l'entrée et ouvre la porte.
Monsieur Smith me fait face, un triste sourire étirant ses fines lèvres et les épaules affaissées sous le poids d'une fatalité que je ne connais que trop bien désormais.

—Tala, bonjour, me salue-t-il en m'enlaçant.

Ce dernier était un ami très proche de mes grands-parents. Il est aussi un juge pour enfants renommé dans tout l'état. Cependant, il a toujours su rester humble, loin de se laisser porter par sa notoriété. C'est pourquoi mon grand-père et lui se sont toujours bien entendus et avaient même construit au fil des années, une amitié sincère et aussi soudée que celle de deux frères.

Isha (Sous Contrat d'édition "Bookmark")Where stories live. Discover now