Chapitre 40

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— Bordel, il ne répond pas ! s'enragea Max, une main fébrile retenant sa mèche blonde.

Un surveillant fendit la foule des élèves. Il écartait les bras en donnant l'impression de nager la brasse au milieu de cette marée humaine. Il tomba sur le corps recroquevillé de Théo et s'accroupit à son chevet.

— Qu'est-ce qui vous arrive ?

Il posa une main sur son épaule. Les cris du garçon redoublèrent comme s'il avait appuyé sur le cœur de sa douleur.

— Aidez-moi à les transporter à l'infirmerie ! ordonna le surveillant.

Des élèves se mobilisèrent, hésitants. Ils craignaient d'aggraver la situation en essayant de les bouger. Si Théo avait hurlé à la mort pour une malheureuse main posée sur son épaule, ils n'osaient imaginer leur réaction s'ils tentaient de les relever. Finalement, personne n'eut besoin de faire quoique ce soit. Les adolescents se calmèrent comme par enchantement et se détendirent progressivement. Fleur, allongée en chien de fusil sur le carrelage, récupérait difficilement son souffle. Elle était encore traumatisée par la douleur indicible qui l'avait clouée au sol. Elle l'avait éprouvée de la racine de ses cheveux jusqu'aux ongles de ses pieds. Comme une nuée d'épines brulantes qui se serait frayé un chemin dans le labyrinthe de ses veines.

Fleur et les Foladel furent accompagnés à l'infirmerie et installés sur des lits individuels rangés côte à côte. Après une auscultation sommaire, l'infirmière décréta qu'un passage à l'hôpital serait nécessaire. Théo n'était pas du même avis. Il attendit qu'elle se soit assise derrière son bureau, invoqua son démon et l'endormit d'un simple geste de la main. La femme s'effondra la tête la première sur le bureau.

Dans un grognement, Valentine se redressa sur son lit. Son visage poupin était crispé de colère, pourtant sa beauté n'en était que plus grande. Fleur la jalousa un peu. Rester belle en des circonstances pareilles, ça frôlait l'insolence.

— Si c'est eux qui ont fait ça, ma parole que je vais leur envoyer Odalf ! Ils vont voir ce que ça fait d'être dépecé vivant !

— Je ne vois pas qui ça pourrait être d'autre, déclara Théo en adoptant la même posture.

— Je croyais que cette histoire était réglée, merde !

Fleur s'adossa au sommier métallique de son lit.

— De qui vous parlez ?

Théo expira furieusement par le nez.

— L'année dernière, pendant une conférence de l'Administration, on s'est pris la tête avec les enfants d'une famille de sorciers. Des espèces de consanguins tous plus bizarres les uns que les autres. Ça s'est fini en duel dans les toilettes et on les a rétamés. Sauf que ces petites pourritures ont voulu se venger. Ils ont récupéré l'adresse de nos parents et ont commencé à envoyer des sorts à distance. Comme ça, de temps en temps. Je peux te dire que quand notre père est remonté jusqu'à eux, ils ont dû croire que leur dernière heure était arrivée.

— Et vous pensez que c'est eux qui nous ont jeté ce sort ? s'enquit Fleur, soudain mal à l'aide.

— Oui !

Valentine fronça les sourcils, ajoutant une touche de contrariété à son minois.

— Je ne comprends pas pourquoi ils sont revenus à la charge. Ils auraient attendu tout ce temps avant de recommencer leur petit manège ? Puis, comment ils ont fait pour nous retrouver dans ce trou paumé ?

— Je ne sais pas, confia Théo d'une voix murmurante. Je pensais vraiment que cette histoire était terminée.

— Je crois que vous vous trompez, intervint Fleur, hésitante.

Valentine et Théo partagèrent un regard surpris. Gabriel, resté silencieux jusqu'à présent, tourna la tête vers la jeune femme.

— Tu sais qui nous a fait ça ? demanda Valentine.

Fleur n'en menait pas large tandis que les paires d'yeux la braquaient.

— Vous savez, la maison dans laquelle nous sommes entrés pour exorciser le garçon ? En fait, il se trouve que c'était une maison de sorciers... Ils avaient mis en place un dispositif pour empêcher l'intrusion de démoniste.

— Ils vous ont vu ? demanda Théo, pressentant que la réponse n'allait pas lui plaire.

— Bah... C'est que... Après avoir extrait la goule, elle a littéralement pris feu et s'est jetée par la fenêtre, mon frère encore accroché à la ligne. Ça a provoqué un raffut phénoménal qui a alerté tout le quartier. Je ne sais pas s'il y avait des caméras... Peut-être qu'ils ont pu nous identifier.

— Fais chier, grogna Valentine.

— Vous pensez que c'était eux, tout à l'heure ? s'inquiéta la fille.

— C'est possible. En tout cas, ça semble plus probable qu'une récidive des glandus qu'on a cognés l'année dernière.

— Simplement parce qu'on est entrés chez eux par effraction ?

— C'est déjà pas mal... fit remarquer Théo.

Gabriel parla enfin.

— Leur enfant a été possédé par notre faute. C'est de ça qu'ils veulent se venger.

— Il aurait pu se faire posséder n'importe où, n'importe quand ! récusa Fleur. Ce n'est pas une raison valable pour nous cibler d'office.

— Un élève du lycée se retrouve possédé, un autre se suicide, tout ça après l'anniversaire de Félix dans votre manoir. Il faudrait être complètement stupide pour passer à côté de l'évidence. Ils savent que nous sommes des démonistes ou, à minima, que vous êtes une famille de démonistes, dit-il à l'adresse de Fleur. En plus, ils doivent savoir que nous avons agi sous la contrainte car aucun démoniste n'aurait pris le risque d'infiltrer une maison protégée pour exorciser quelqu'un. Ils savent que nous avons enfreint le règlement de l'Administration et que nous essayons de rectifier le tir avant que ça ne dérape.

— Et donc ? s'impatienta Théo qui s'était penché en avant pour distinguer son frère.

— Donc, les choses vont se corser, continua Gabriel avec flegme, comme s'il n'était pas concerné par la situation.

Fleur s'était allongée sur le flanc. Elle contemplait son visage couvert d'ecchymoses, gagnée par une curiosité frustrée. Que pouvait-il bien lui être arrivé ?

— Soit ils continuent leur petit jeu, soit ils nous dénoncent à l'Administration. Mais, à mon avis, ils vont essayer de faire justice eux-mêmes.

— Dans ce cas, on va se défendre et leur botter le cul ! lança Fleur.

Sa hargne ne fit pas l'unanimité.

— Qu'est-ce qui vous prend, tout à coup ? s'emporta la jeune femme. Vos démons sont redoutables, personne ne vous arrive à la cheville. Vous n'allez faire qu'une bouchée de ces guignols.

Théo secoua la tête avec une mine abattue qu'elle ne lui connaissait pas.

— Les sorciers ne sont pas aussi nazes que tu le crois. Certains sont même redoutables, comme ceux qui nous ont attaqués pendant le discours. Démon de rang A ou démon de rang E, ils ont réussi à nous clouer au sol avec un seul sortilège. Si nous les affrontons, il y aura de la casse. Et des deux côtés. En plus de ça, si l'Administration nous attrape, on risque gros : mise en danger de plusieurs Ignorants, réalisation d'un exorcisme non missionnée, intrusion chez des sorciers, affrontement avec des sorciers. On s'est foutus dans un sacré merdier.

— L'Administration a d'autres chiens à fouetter que de venir dans la petite ville de Saint-Mérand pour fliquer des adolescents, tenta de les convaincre Fleur.

— Ce n'est pas l'Administration que nous craignons, confessa Valentine, le regard bas. C'est notre père.

La Famille Malcius - Tome 1Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon