Chapitre 13

521 47 6
                                    

J'attends que les autres se lèvent depuis des heures. Je suis installée dans le salon, Éros est face à moi, mais n'ose pas faire un geste. Fëanáro est à côté de lui, son museau est presque collé à la joue du prince. Il le surveille plus efficacement que n'importe quel garde. Le soleil s'est levé il y a quelques minutes, je n'ai dû dormir que quelques minutes sur ma nuit, mais ça m'est égal. Il était hors de question de placer Éros dans la salle d'entraînement ou il a déjà réussi à défaire ses liens et pour une raison qui m'échappe je suis incapable de donner l'ordre de le mettre au cachot. Donc au lieu de faire ce qui doit être fait, je le surveille avec mon dragon dans ma pièce préférée de ce château.

Le prince m'a posé de nombreuses questions auxquelles je n'ai fourni que des réponses brèves. Mais ça ne l'a pas découragé, il ne fait que parler et le son de sa voix m'est de plus en plus insupportable. Non pas parce qu'il parle trop, mais parce que je ne peux ignorer le fait que c'est la voix de l'homme dont je suis amoureuse. Je sonde l'esprit de mes amis un par un depuis le lever du soleil, cherchant les prémices d'un réveil. Le prince pose une question qui me sort de mes pensées.

— Comment as-tu connu Anna-Livia ?

Je me rends compte que c'est la première fois qu'il parle d'elle depuis qu'il m'a annoncé leur lien... Je ne comprends pas comment un homme pensant qu'elle est son âme sœur puisse ne pas parler d'elle.

— Je ne la connais pas.

— Mais tu sais qui elle est... Et tu as eu l'air étonnée qu'elle soit mon âme sœur.

— Elle ne l'est pas.

Il hausse un sourcil surpris par mon affirmation. Je ne laisse rien paraître de mon mécontentement sur mon visage.

— Exprime-toi.

Je ferme les yeux une seconde, croise les jambes et m'installe dans le fond de mon fauteuil.

— Quand est-ce que tu t'en es rendu compte ?

— Nous en avons parlé récemment.

— Donc elle te l'a dit récemment et tu l'as cru.

— Nous sommes amis depuis des années, ces sentiments peuvent se mêler et ne pas forcément paraître évident.

— Mais bien sûr... je hausse les sourcils et souris. Ça se voit que tu l'aimes... je ris cette fois. En plus, c'est une femme adorable.

— Elle est gentille...

— Oh oui, continue. Tu parles comme un homme épris. Le fait qu'on nous dise qu'Intel ou Intel est notre âme sœur ne suffit pas pour que ce soit le cas.

— Je l'apprécie beaucoup.

Je me rends compte que les sentiments d'Éros envers Anna-Livia n'ont pas changé que je sois dans sa vie ou non. Ce constat fait fleurir un sourire en coin sur mon visage. Je ne sais pas comment lui faire retrouver ses souvenirs, ni même si c'est possible, mais cette révélation m'apporte un peu de baume au cœur.

— Ça te fait rire ? On ne tombe pas forcément amoureux de son âme sœur et elle fera une très bonne reine.

— Je ne doute pas qu'elle fera une reine remarquable, mon ton sarcastique lui fait détourner le regard.

Si elle devient reine, elle sera exécrable, elle l'est déjà sans raison valable... Il ne répond pas parce qu'il doit se rendre compte que je n'ai pas tort.

La porte s'ouvre et je vois Ayden entrer. Avec cette conversation, je n'ai pas eu le temps de lui envoyer un message via notre rune de communication. Il fronce les sourcils en voyant Fëanáro.

— On en a déjà parlé, pas de dragon dans le château.

Éros enfoncé dans son fauteuil n'est pas visible par Ayden. Le prince hausse un sourcil dans ma direction. Mon ami appelle mon dragon d'une voix douce, mais il ne récolte aucune réaction, si ce n'est un vague grognement.

— Qu'est-ce qu'il regarde comme ça ?

Ayden m'observe en fronçant les sourcils et contourne le fauteuil du prince pour l'avoir en visuel. Mon ami se fige quelques secondes sans comprendre. Je prends la parole :

— Il a essayé de s'enfuir et a réussi à retirer ses liens... j'observe Ayden. Tu t'occupes de ce dont on a parlé hier.

Il tourne rapidement la tête vers moi. Je me lève prête à quitter la pièce.

— Pourquoi est-ce que tu ne t'en es pas déjà occupé ?

J'expire bruyamment en me retournant vers lui.

— Ça semble évident. dis-je avec un regard insistant.

— Non, Hestia. Tu devrais pouvoir faire ce qui doit être fait. Il ne se souvient de rien et ça ne devrait pas t'affecter.

— Et pourquoi ?

— Parce que sa mort t'a déjà pourri la vie. Si sa résurrection doit être pire, laisse-moi abréger tes souffrances.

Ayden appuie sa remarque d'un regard meurtrier vers Éros. Ce dernier a l'air totalement perdu par notre conversation et je peux le comprendre. Je me place entre le prince et mon ami. Ayden rit jaune. Il penche la tête sur le côté afin d'avoir Éros parfaitement en visuel.

— Réjouis-toi. La reine veut te garder en vie.

Ayden reprend place face à moi et nous nous jaugeons du regard de longues minutes sans qu'aucun son ne se fasse entendre. Soudain, la porte s'ouvre et la voix d'Alex retentit :

— C'est quoi cette ambiance ? Ayden, tu m'as demandé de venir pourquoi ? Arbitrer votre combat de boxe...

Ayden se tourne enfin vers son frère et je contracte la mâchoire sans regarder le nouvel arrivant.

— Je t'ai fait venir pour que tu conduises le prisonnier dans sa cellule. Il a essayé de fuir cette nuit...

Il prend la direction de la porte, mais avant de sortir, il ajoute :

— Ton couronnement est dans trois jours, il finit par la pensée. Et j'envoie la missive d'échange pour Horos que tu as demandé dans la journée.

— Bien !

J'en hurle presque et je me tourne au même moment vers la porte. Alex me regarde incrédule et je lui indique d'un geste la main Éros qui n'a pas bougé d'un millimètre. Je recule de quelques pas. Il me dévisage avec intensité.

— La reine ?

Un de ces sourcils s'élève et je me mords l'intérieur des joues. Alex se déplace dans la pièce et son regard tombe sur l'homme aux cheveux blancs dont les yeux ne me quittent pas. Mon ami souffle ostensiblement en le voyant. Il l'attrape par le bras et le force à se lever. Deux gardes arrivent dans la pièce et attendent de pouvoir escorter le prince. Le regard d'Éros reste fixe alors qu'Alex le tire vers la porte.

— Tu devrais passer me voir, j'ai de nouvelles questions à la suite de cette conversation...

Alex le pousse violemment et force enfin le prince à se retourner. Alex me lance :

— Tu dois m'expliquer, Tia. J'arrive dans quelques minutes.

Je hoche la tête alors que la pièce se vide. Après quelques minutes à attendre debout sans réellement prendre conscience des révélations qui viennent d'être faites au prince amnésique, je décide enfin de me laisser tomber dans le canapé derrière moi. Fëanáro s'avance lentement et pose sa tête sur les genoux, je caresse machinalement ses écailles irisées. 

Le Joyau de Nostraria, tome 3 : la naissance d'une légendeWhere stories live. Discover now